Imprévu




La tâche était sans doute trop ambitieuse. Essayer de tracer par ici des émotions déjà anciennes n’était pas facile car cela revenait à tester la récupération, à toute blinde, des instants rares où l’on avait cru sentir le Temps se scratcher proprement, comme dans les espoirs de ces scientifiques qui tentent plus ou moins vainement de collisionner des particules afin de vérifier des hypothèses, et ils obtiennent des résultats contradictoires ; et raconter ces instants qui s’accouplent, hors-normes: une chimère.



Dès la voiture garée sur le parking, les tâches des portes rouges arrêtent l’œil, de l’autre côté de la rue, sur cette maison de ville peu banale, plus haute que large, en assise de granit ocre rehaussée d’un étage au crépi rose. Une, peut-être deux secondes suffisent pour que ma mémoire, automatiquement, y superpose une photographie oubliée, expédiée depuis son téléphone mobile ou bien sa messagerie. Il n’était pas prévu que cette catastrophe se produisît, aussi faudra-t-il, encore une fois, parer au plus pressé. Mais quelle est l’urgence, par quel bout commencer quand le ciel s’entrechoque ? Elle est là tout entière, et la terre tremble.


La photographie, à grand bruit, tentait de faire sa place en bousculant les murs que j’avais sous les yeux. À cet instant précis je ne savais quelle était la réalité des choses, le souvenir s’immisçant sous la pierre, et ce n’était plus une maison que j’avais devant moi mais l’ensemble des sensations contemporaines de l’envoi de ce mail, ou plutôt un mélange des deux, un souvenir animé qui prend vie violemment; un trop-plein, en tous cas, et qui déborde, et la buée qui entoure cette photo assez mauvaise et pourtant si chérie est proche du reflet qui, dans mes yeux, trahit le conflit du souvenir chapitré de bonheurs en négatifs, et ce bonheur n’est plus perceptible que par les peines qui l’encadrent, repères essentiels en forme de traces de feutre noir sur les planches-contact du souvenir.

Et la visite qui suit, où l’on voit le visiteur en suspension de lui-même, à l’image des robes et des parfums du grand couturier dont il s’agit ici, dans sa ville natale, d’abriter la mémoire, n’est pas illustration (il n'y en aura donc pas) mais continuité du souvenir, au mot près : dans les pas de. Le jardin en terrasse ouverte sur la mer est une proposition indécente, presque, sous un soleil devenu exotique par le fait de la surexcitation des sens, et le corps chancelle, et c'est bien le moins qu'on en peut attendre. Et cette collision est un précédent, les particules qui s’en sont échappées n’ont pas fini leur course au-dessus des imprévisibles chahuts de l’âme.





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