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Pastiche numérique anonyme
Deuxième décade du XXIème s.
Il y avait en effet une urgence. Dans le jardin. Pas celui qui est dit vulgairement: «secret», mais dans le privé, oui.
Au milieu de celui-ci, depuis quelques années se trouve un magnolia; plus précisément un Magnolia grandifolia. Il a l'air de bien tenir au sol même par grand vent frais, ses branches sont fermes et lisses; toutefois à notre étonnement il ne grandit pas. Il s'est un peu penché vers l'ouest, juste après sa plantation, et puis plus rien. Il vit — sans doute ! — mais sans montrer non plus signe de vie autrement que par la douceur d'un bois flexible et apparemment vert. Et de maigres fleurs, à la saison, qui fanent rapidement. Désolation, vraiment ?
Il s'est penché vers l'ouest. C'est-à-dire qu'il a penché imperceptiblement, on le sentait pencher un peu plus tous les jours sur son tuteur, sans pouvoir intervenir. Cela a-t-il un sens ! D'ordinaire, les arbres obliquent plutôt dans celui du vent dominant, ainsi dans nos régions se couchent-ils, en général, vers le sud-est. Alors était-ce le fait qu'il avait choisi cette lutte contre le vent qui le faisait ne plus s’accroître ? En un mot perdait-il ses forces à essayer de monter au vent ? Les spécialistes convoqués, réunis en conclave, bruissèrent de rumeurs, laborieuses à mes yeux et surtout contradictoires (sans surprise). Tantôt la qualité de la terre était en cause («Ici, monsieur, c'est un sol à betteraves») parfois le climat, ou bien la faiblesse du pépiniériste qui nous l'avait fourni, ou encore son emplacement incorrect dans le périmètre...
# Pour ma part j'avançai une hypothèse sociale; cet individu avait pour compagnons riverains un vieux prunier grabataire aux mères trouées par les champignons et les insectes xylophages, bien qu'étonnement généreux (une année sur deux), et un très-jeune et très-droit abricotier, de caractère assez pète-sec, incontestablement brillant et ambitieux; il nous avait fallu à plusieurs reprises lui rabattre le caquet sous la forme de coupes franches, afin qu'il n'obérât pas ses promesses fruitières de par l'élan présomptueux de branches inutiles. Par mon expérience des individus, il me paraissait vraisemblable que notre magnolia préférât la société du prunier, ou plutôt qu'il s'enquît de sa santé au point de vouloir lui porter secours, ce qui expliquait aisément la direction qu'il s'était fixée, à rebrousse-poil de la force obligatoire. Cette opinion n'engageant que moi. #
Il y avait plus surprenant encore, et sans doute était-ce la raison de l'urgence. Depuis quelques heures l'arbuste s'était mis à produire des boutons. La douceur inhabituelle de cette fin décembre n'expliquait pas tout, rien du tout même. Alors avions-nous été trompés, étions-nous en présence d'un arbre antipodiste ? Je ne sais pas... un Magnolia boliviana, ou bien un Magnolia de Porto-Rico ? C'était un grand mystère certes, mais convenait-il de l’éclaircir ? J'opposai aux divers fâcheux (déjà cités) qui nous aiguillonnaient maintenant vers le dépôt de plainte, des arguments commençant tous par «quand bien même» suivis d'un conditionnel et se terminant au présent de l'indicatif. Alors la question fut réglée et l'on n'en parla plus, en tous cas avec eux.
...
Assez heureux d'avoir été dérangé dans ces conditions, il m'apparut difficile tout de même d'en rester là. Puisque nous avions le temps, avec ma femme on a décidé d'aller passer quelques jours dans un coin perdu. Après quelques phrases assez formelles — puisque la décision était prise de toute façon et le projet, sans en avoir l'air, mûri depuis longtemps — on s'était mis d'accord pour aller de ce côté-ci (mais pas plus loin, non, pas plus loin pour le moment):
Je ne sais pas pourquoi nous avons choisi ce côté, et pas l'autre. Peut-être parce que je n'avais pas encore la photographie ad-hoc ? Quoi qu'il en soit ce fut un séjour long, très long même, au moins trois jours et trois nuits sans répit aucun car nous croisâmes des personnages en grand nombre, en très grand nombre. L'un d'entre-eux fut un arbre gigantesque, comme un poing levé vers le ciel il avait l'air, sans s'en prendre nommément à tel ou tel de ses agresseurs, de revendiquer un droit de vivre éternellement. Combien avait-il vu naître, et mourir, de ces étêteurs ? Nous lui parlâmes longuement, il m'autorisa à le prendre en photo afin que je le présente à notre magnolia, lorsque nous reviendrions au jardin.
C'est sans doute à l'issue de ce séjour en plusieurs volumes que je pris la mouche. Le printemps était décidément arrivé beaucoup trop tôt, à vous filer le bourdon. D'ailleurs, fort opportunément je lui demandai ce qu'il en pensait, le bourdon, parmi les hellébores ravies, épanouies, déployées, jaunes, blanches et pourtant si vertes, ouvertes (saintes ?) Je sentais bien qu'il avait quelque chose à me dire, ce bourdon, tournoyant ainsi incessamment autour du pistil avec des sautes brusques, comme s'il avait du mal à faire son choix parmi les étamines pléthoriques, mais agissait-il en être avisé ou bien au contraire avait-il comme principe l'abondance, au risque de se retrouver (bêtement) en surpoids, de se noyer dans le pollen ?
Rien. De toute évidence, il n'en pensait rien; il s'en foutait. Il m'a tourné un dos velu et des pattes bredouilles dans un bzzz banal. Allait-il rendre visite au magnolia ? Et c'est à partir de ce moment que je me suis désintéressé du jardin. Non pas qu'il m'indiffère, loin de là. Je le laisse vivre seul, puisqu'il sait faire cela très bien sans mon intervention. Avec mes lunettes, j'observe, mais il parait que c'est déjà intervenir. Aucune raison de se justifier, dans cette question centrale.
...
Joli, le vol du bourdon, la photo est musicale.
RépondreSupprimerC'est une façon de faire des économies
SupprimerExcellent.!
RépondreSupprimerEt cette pratique du subjonctif et partant ( mais pas seulement) de l'accent circonflexe pour le plaisir des yeux et du son.
Bonne année dominique, avec beaucoup d'images et de mots
Bonne année à toi aussi. Victoire du temps sur le genre !
SupprimerPeut-être en est-il comme du chat de Schrödinger : si tu arrêtais de regarder ton magnolia, il pousserait dans l'autre sens ?
RépondreSupprimerÇa me colle le bourdon cette histoire !
On en a vu d'autres, non ? Courage... :)
SupprimerJe ne peux pas exactement retrouver les mots que j'avais écrits d'emblée, après lecture-vision. J'ai beaucoup apprécié dans votre récit la façon de mettre en relation les images avec le texte, par deux flux parallèles. Aucun des deux moyens ne prévaut sur l'autre et l'on voit bien que derrière chacun d'eux il y a une personne qui a beaucoup de questions à exploiter soit personnelles-générationelles soit concernant la société, l'environnement, la ville, les multiples paysages de la vie.
RépondreSupprimerIl y a aussi des aspects méthodologiques à fouiller et analyser autour de l'enregistrement des images ou des sons vis-à-vis de « l'intention » de l'Auteur. Je parlerai de cela dans un prochain commentaire.
Merci de votre passage attentif.
SupprimerQue 2013 vous emporte vers d'autres ballades pluvieuses embaumant l'aubépine, du côté de Méséglise?
RépondreSupprimerBonne idée, allons régler de ce pas le mécanisme (réactualisé, désormais digital) de la lanterne magique !
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