Motu proprio depuis le #motel




Le #motel comme fin, aussi bien que moyen. Le #motel en tant que corps social à vivre de l'intérieur. Autrement dit et par exemple, ne pas «faire étape» au #motel mais y demeurer, aller au #motel comme on va en vacances. Ce point capital ne supporte pas l'inapplication.


Le #motel en dit plus long sur le fonctionnement de notre corps, de nos humeurs que ne le ferait un médecin car le #motel est comme notre reflet, regardé en interne et docile, un reflet-valise.


Au #motel, choisir une chambre avec lits séparés pour ne pas se disperser quand un mélange, ne serait-ce qu'une heure ou deux, quand bien même un doux mélange, insolences affectueuses et corps tendus, histoire de mouiller les draps, ne changerait en rien la face du programme. Ou bien:

Au #motel, choisir une chambre avec lits séparés pour ne pas se disperser quand un mélange, de quelque longueur et de quelque nature qu'il soit altérerait irrémédiablement la dynamique du principe.

Soit: au #motel, choisir son camp, ne pas se tromper d'allié; il s'agit simplement d'investir le #motel, avec une sorte de force tranquille comme on disait autrefois.





La femme de chambre du #motel est enceinte de plus de six mois, ce qui ne l'empêche pas de fumer et de faire les lits. Au #motel, l'itération de l'étirement ne vaut pas alitement.

Il y a deux femmes qui s'occupent alternativement de la réception du #motel. La première, blonde anodine, distante et neutre. Elle passe beaucoup de temps au bar —avec son compagnon qui tire les bières— à parler haut parmi les piliers emmêlés dans des mots forts et incompréhensibles. La seconde, jeune brune gracieuse et souriante,  douce, attentionnée, suscite d'emblée une sympathie  exagérée, inversement proportionnelle à la sécheresse du lieu.

Un autoradio boum boum boum boum boum assourdi par le double vitrage, 4h17 sans doute la vacation du veilleur (la veilleuse ?) de nuit du #motel car un client ça m'étonnerait.

boum boum boum Tiens il ou elle a dû oublier ses clés dans l'auto.

boum boum boum boum Ah ses cigarettes aussi ?

Le #motel est immobile devant le paysage des camions qui défilent à l'arrière plan, comme dans une lanterne magique.






(Nous descendîmes sur Plouguernével; tout d’un coup je fus rempli de ce bonheur profond que je n’avais pas souvent ressenti depuis le #motel, un bonheur analogue à celui que m’avaient donné, entre autres, les clochers de Rostrenen.)


Sur le parking du #motel sont garées des camionnettes à l'enseigne d'un lait concentré. Il y a un symposium au #motel. Un colloque de vendeurs en produits laitiers concentrés, de voyageurs de commerce spécialistes en lait UHT. Les participants investissent la salle du petit-déjeuner du #motel (qui est aussi celle du dîner et celle du souper) à la même heure. Il y est surtout question d'un résultat sportif ainsi libellé sur le poste de télévision:

 BREST 1-O LOSC

d'où il ressort que l'équipe locale ayant gagné à domicile, il y a matière à dire. Tous les participants au congrès du #motel ne sont pas férus de foot, aussi font-ils bande à part mais pas forcément plus silencieusement et pas du tout ostensiblement car ici le foot n'est pas au choix: une religion - un mode de vie - un opium quelconque, ici le foot est dans la vie. Ils sont extraordinairement vivants, de bon matin, après une nuit calme, apparemment sans écarts.




Au #motel il y a aussi un couple qui prend son petit-déjeuner à une table voisine. Ils ont les cheveux longs, gras et portent des chaussures de marche. Souriants et silencieux, peut-être reviennent-ils de Notre-Dame-des-Landes. La femme me regarde entre chaque gorgée de café, probablement pour se distraire. Afin de ne pas céder à cette facilité je regarde passer les camions par la fenêtre du #motel, derrière la haie de genêts.


Le #motel s'appelle Le Henri IV, son restaurant aussi. Un second restaurant s'appelle Le Médicis, il supporte l'étiquette «gastronomique». Son menu le plus cher est bien sûr celui qui comporte le plus grand nombre de plats mais surtout le plus de choix dans ces plats, de sorte que ce menu «supérieur» dispose d'un choix de quinze entrées et de dix-sept plats. Les menus du #motel se hiérarchisent ainsi:



Une entrée + un plat
ou: un plat + un dessert
(servi uniquement le midi en semaine)
11,50 €

Une entrée + un plat + un dessert
14,50 €

Deux entrées + un plat + un dessert 
22,50 €

Deux entrées* + deux plats* + un dessert
38,50 €

Deux entrées* + deux plats* + fromage + un dessert
44,50 €

* le choix est donc — on l'aura compris — de deux plats différents à la suite l'un de l'autre dans chaque catégorie, soit quatre plats différents c'est-à-dire six assiettes en comptant fromage et dessert.

Le néon du #motel clignote nuit et jour au bord de la RN 64, il en constitue l'un des phares; ne pas le voir témoignerait d'une erreur de navigation.

Le clignotement du néon (rouge) du #motel «Henri IV» est instruit par la décharge d'un starter d'une fréquence de treize secondes, puis un temps mort de trente secondes. Ce rythme, indépendant du cycle nuit-jour, ainsi que la qualité du son, font penser très exactement à une corne de brume. Celle-ci est surtout audible depuis les chambres du deuxième (et dernier) étage.
Dans le même ordre d'idées (rythme, cycle, corne, audition) un couple faisant l'amour au #motel dans une chambre du premier étage est audible depuis toutes celles du second sans exclusion, selon le principe qui veut que les sons montent. En revanche l'inverse n'est vrai que pour les chambres situées au dessus des cuisines (sans que nous ayons pu trouver une explication satisfaisante à ce phénomène).

Entre minuit et demi et quatre heures trente du matin, il passe à peu près un camion par quart d'heure devant le #motel, et ce en toute circonstance de calendrier ou de climat.


Au #motel, s'il est possible de se maquiller, il serait vain de feindre l'appétit, faire semblant de dormir ou contrefaire sa condition sociale; d'ailleurs le tricheur serait rapidement démasqué.






(à suivre...)
...



Commentaires

  1. (... cette condition ontologique : il n'est pas de motel sans néon)

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  2. quelles vacances ! mais quelles vacances ! il a plu ?

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  3. 6 entrées + 4 plats + 2 desserts + vin + chouchen + cigare : 4587 €

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    1. Tu as oublié quelque chose ou plutôt quelqu'un, ce n'est pas possible sinon... (oui, plusieurs fois par jour; bonheur)

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  4. ...j'attends la suite avec impatience

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  5. Le #motel fait partie de l'imaginaire que l'on accole aux voyages aux USA et que les romans et les films des années 70 ont ancré dans nos mémoires.

    La France met toujours du temps pour suivre ce qui nous vient de "là-bas" : le #motel national a donc ses propres charmes, que tu as su avec talent repérer, épingler, dénombrer (presque puisque l'on attend la suite).

    La motelisation est en route.

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