La ronde - Déclic

Dans l'un des arcs bouclant notre ronde trimestrielle, j'ai le plaisir d’accueillir Céline Gouel, tandis que je pose mon bagage chez Quotiriens (merci Franck !)

Le thème de la ronde est aujourd'hui «Rencontre(s)»

Les acteurs de cette affaire tournent cette fois-ci dans le sens suivant:

Loin de la route sure - Même si - le blog graphique - Un promeneur - mesesquisses - la distance au... - Quotiriens - Loin de la route... etc.


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Déclic






De carpe, elle se fit grenouille et sortit de l’eau.
Mais à gober les mouches, elle se mit à loucher.
Elle voulut être sirène, mais se retrouva tortue.
Et pendant que les lièvres séduisent les chasseurs, elle prit son temps et son arbre poussa...








À défaut de rive, une barque l’avait accostée quelque part.
D’abord happée par le flux rythmé et joyeux de la foule frétillante, elle s’était mise à danser dans les vagues des marées aux heures de pointe.
Mais projetée au sol, elle avait roulé dans des cernes lourds de vents.
Elle s’était alors accrochée à un pigeon qui l’avait posée sur un banc au milieu d’une place déserte.
Épuisée, elle s’était endormie, rêvant de raz de marée et de bouées percées.


C’est là, sur son île qu’elle avait bu sa tasse. Une tasse de café noir comme du mazout.


Son regard aux sols mouvants et chaotiques s’était mis à suivre les pas des passants.
Puis il s’était retrouvé sur les corps en mouvement, actifs et dynamiques, il grimpa sur les mains pendantes ou cachées, les bras mous, les épaules contractées, les cous hissés, vissés, puis, enfin, surpris en pleine ascension, il avait atteint le sommet qui ouvrait d’un coup tout l’espace et le point culminant de tous ses questionnements...
Elle vit les visages.
Elle découvrit un monde de mondes, et scruta chaque continent.
Des pas aux visages, il ne restait plus qu’à faire le premier pas.
Mais ça elle n’avait jamais su.
Pourtant chaque regard fut un contact.
Certains touchaient, d’autres glissaient, certains perçaient, d’autres piquaient...
Les visages nus défilaient, chacun suivant une direction préétablie ou fixe.
Le sien s’enracinait irrémédiablement dans le vide.
Il n’avait pas rencontré son sol.
Au bout d’un certain temps, au milieu de la foule, elle se fit prendre au hameçon d’un regard tenace. Interception fugace.
Mais le flux ne s’arrête jamais et le regard, aspiré, s’éloigna avec un banc d’yeux opaques dans les eaux troubles de la vie urbaine.


Perdue dans son café, il avait suffi d’un détail et d’une seconde d’abandon de son poste de guet-à-pont pour que sa réalité lui soit enfin révélée.
Une simple goutte d’eau sur la vitre du café.
Le focus de son œil fit la netteté et suivit un instant le trajet de cette goutte entourée d’un arrière-plan mouvant et flou.
Seul un visage était statique dans ce tableau étrange, une sous-couche perceptible à qui veut voir : son propre reflet.
Elle se dévisagea, entre le flou et la goutte d’eau, comme une personne inconnue que l’on s’autorise à fixer.
La vie du dehors, le détail de la goutte ou son reflet, son regard devait choisir.


Devant son incapacité à choisir tant elle sentait le lien qui tenait l’ensemble, elle prit un cliché, son premier cliché, et sortit de sa nature morte.


Sa sensibilité-éponge déborda d’innombrables éléments, telle une cascade de dominos suivant un chemin sinueux vers une source, sa source ....
Les examinateurs toussaient. Les examinateurs toussent toujours quand ils trouvent le temps long.
Il lui fallait parler, expliquer, justifier de son idée photographique perceptible par elle seule. Elle était figée, fatiguée, elle laissa les mots sortir de sa bouche sans les passer au contrôle des sept tours de langue.


— Le commencement vient d’un milieu aquatique.
L’eau.
Une goutte d’eau
L’eau du ventre de ma mère.
L’eau du premier bain.
Les pieds dans l’eau de mer.
La nage, les marées, la houle
Un bain de foule.
L’eau du corps, l’eau de vie
La source et les pluies
le verre d’eau
le seau
Le verre de l’amitié
Le dernier verre avant de sombrer ...




Devant son café à moitié vide.
Elle rêvait d’eau pure.
Elle plongea son doigt dans le noir et but la tasse.
Tassée sur sa chaise bancale, pendant que le temps passait.


Elle continua:


— Il en faut du courage pour entrer, pieds nus, dans l’eau froide.
Le courant est passé, la vase a laissé place au sable.
Le contact des doigts avec le sable... Une poignée puis plus rien, un château que la marée mange pour son dîner.... À quoi bon me direz-vous ?
Mais quel bon moment d’éphémère !...
La rencontre est sensible et physique, une intime connexion.
Je n’ai rien d’autre à dire.


Le silence fit un écho de silence.
Elle sortit prendre l’air du dehors.



Les examinateurs sentirent du sable dans leurs chaussures et, l’œil gamin, firent ensemble un grand château de cartes.


Céline Gouel
[selon son souhait, photo... D. A.]

...

—prochaine ronde le 15 décembre—
(et cette ronde est ouverte !)

Commentaires

  1. Cette conviction de toujours : il s'en passe dans les tasses.

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  2. Et le noir n'est jamais si noir... Merci pour cette première danse !

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  3. Avec ce fabliau, la dame fit trois fois le tour de la tasse*, la grenouille scellant ainsi le seau – enfin le verre, la tasse – de l'amitié
    (* dans le liste de gauche, clic sur le fabliau: «la dame qui fit trois fois... »)

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