nuancements de gris (secondes, 2)






Ce pourrait être une ville inconnue, une ville sans gare, sans train, sans retour. Sous le crevé des  nuages, perce l'Azur. Sur les rives des cubes alignés. Les glaces en miroir s'emparent du  fleuve.
Ils passaient bouche close. Ponts suspendus, ponts flottants, ponts vibrants de leurs pas (souvenir de Fourvière, dit-il). Il fallut s'arrêter. Fixer le temps, fixer le fleuve, suspendre les cours. Fixer l' image. Appuyés sur le parapet d'un pont, se donner l'illusion du bastingage dirent-ils.
Eaux bleues, vertes, noisette. Ils regardaient les eaux grises de boues, suspensions minérales. Par le hublot, elle avait vu le Dniepr et ses méandres en miroir du ciel sur la terre blanche et noire de Sibérie, lambeaux de neige, lambeaux de terre, toile en charpie d'étoilements (souvenir de Hantai, dit-elle).
Le Rhin ; le Rhône, la Loire ; la Garonne. La Seine. Entourements de vie. Endroit, envers. Embrassements. Petit matin en parenthèse sur le Pont des Arts, sans cadenas sur le garde-corps. C'était avant.
Au bout du pont est arrimé le lanternon d'une boite à livres. A l'abri de la pluie et du vent des tempêtes, un livre a été déposé : Joseph Conrad, Typhon, traduction André Gide. (Eaux noires qui viennent converger dans les flux saccadés de la mémoire).
Puis un matin au réveil, une lecture :



Ils ont cherché toute la nuit avec des lanternes, / ils ont laissé au port les noyés, / ils ont embarqué les chevaux. / L’horloge de la Douane /  n’a pas d’aiguilles.
                                                                                                 (souvenir des Jours glacés de Miklos Jancso, se dit-elle).

Louise Blau

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Ce billet est publié dans le cadre des Vases Communicants, sur une idée de François Bon et Scritopolis«chaque premier vendredi du mois, chacun écrirait sur le blog d’un autre...»

Avec Louise Blau, loin de la route sûre, nous avons échangé des photos de nos fleuves et imaginé ce texte en deux temps. 

La liste des participants est consultable sur ce blog, mis à jour par Brigitte Célérier.
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Commentaires

  1. Incroyable ciel. J'y vois les quais de Saône dans le 13e arrondissement de Paris. J'ai perdu l'aiguille de la boussole.

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