Le livre à relire

Au musée Fabre (cela me revient aujourd'hui par hasard pur), ce très beau musée qui est en lui-même une oeuvre d'art, depuis son coffre-fort inaugural destiné à accueillir nos frusques, superflues en ce lieu, jusqu'à son issue aérienne au dédale tout en abstraction; au musée Fabre le visiteur, pour peu qu'il accepte le sens ordinaire de la visite, un sens chronologique, termine son parcours par une grande salle blanche très lumineuse, salle dans laquelle se trouve une impressionnante collection de toiles de Pierre Soulages.

L'oeil est alors livré à lui-même dans un rythme monacal, qui est celui de la lumière pure accaparée en stries bitumineuses au bout desquelles, le silence. L'érotisme en suspension, à la renverse et à la ligne.

Chacun sait, lorsque la nuit tombe sur les musées, le dernier gardien à peine parti et c'est le banquet des oeuvres, la discussion, les métamorphoses. Chacune se défend, argumente, expose, propose, offre, prend. Aucune n'existerait sans celle qui précède, et celle qui suit immédiatement sait gré à la prochaine d'être déjà reconnaissante, avant même, peut-être, son achèvement.

On comprend mieux, dès lors, rétrospectivement, la surprise, l'étonnement, les gestes, émotions et cris qui se peignent littéralement (ou se sculptent sur les rides) des toiles, groupes, sculptures, à la pensée de ce qui va arriver et qui pour le moment attend encore le promeneur du musée; car il ne sait pas encore (ou fait semblant, s'il est malin), à cet instant précis, que tout est à venir, à revenir, à refaire pour lire et relire autrement le grand livre, jusqu'à sa propre consumation.