Lire les murs
Récemment, à la faveur d'un bel après-midi je m'étais installé dans un bout du jardin, sur une chaise du même nom. Un petit zéphyr (non dépourvu d'azur) venait de l'est, sud-est; en conséquence de quoi, l'air sentait bon la mirabelle. Assez rapidement, je fus distrait de ma lecture par un doux mais insistant cui-cui provenant de l'autre côté d'une haie de fusains. Je me suis levé par curiosité, et c'était un rouge-queue qui s'amusait à sauter, d'un ou deux coups d'ailes, depuis le sol sur un tuteur à haricots, puis se laissait choir par terre comme une pierre, et regrimpait sur le tuteur voisin, etc. Cela n'en finissait pas, il avait l'air de ne pas se préoccuper de ma présence. Il devait s'agir d'une danse quelconque, dans un but peut-être déterminé, incompréhensible à mes yeux en tout cas mais c'était un jeu dont la grâce, l'élégance et surtout la répétition avaient quelque chose de parfaitement fascinant, et dont je ne m'étais jamais aperçu auparavant.
Bref, au bout d'un certain temps j'ai dû me rasseoir mais, profitant sans doute de ma stupéfaction, le merle (je dis « le » car étant certain qu'à cette heure-là, tous les soirs il s'agit du même, je devrais d'ailleurs l'appeler, le nommer, et peut-être en faire un camarade), le merle, donc, est venu se poser sur l'antenne de télévision et a commencé ses chants complexes, qui sont assurément un langage (la vérité m'oblige à dire que je lui réponds parfois en sifflant, mais il est plus que probable que mes trilles l'indiffère, et je crois plutôt qu'il répond à une autre). En l'occurrence je voulais surtout continuer ma lecture, mais c'était oublier qu'en été, la plupart du temps le chant du merle appelle immanquablement les martinets. Il n'y eut pas de dérogation et ils arrivèrent en deux ou trois bandes d'une douzaine d'individus, faisant d'étourdissants grand huit à quinze mètres au dessus du sol autour des pignons circonvoisins, précédés de leurs trilles suraigus dans l'espace de leur froufrou soyeux, certes, mais encombrant, à la longue. Et tout ceci sous de placides cumulus. Autant dire que pour la lecture c'était, comme on dit, râpé.
Le lendemain, sans qu'il y ait de rapport avec ce qui s'était passé la veille je me suis retrouvé dans une salle d'attente, chez un vétérinaire. Il y avait là deux ou trois personnes dans mon état, accompagnées de leur animal apprivoisé — ou non — qui tentait de faire connaissance — ou, au contraire, amorphe, impressionné par la solennité du lieu, recroquevillé sur sa litière — à travers les grilles de son moyen de transport. Après avoir exposé le but de ma visite au praticien, ce fut un moment d'examen, puis d'analyses. Cependant, et tandis que la consultation suivait son cours il me fut demandé un choix, qui serait conditionné par les résultats à venir. Dans la pause qui s'ensuivit je pris place dans une sorte d'antichambre attenante. C'était une pièce aveugle aux cloisons grossièrement enduites d'une sorte de plâtre, ou peut-être de chaux (n'oublions pas que nous sommes à la campagne) une pièce meublée de deux chaises entourant une table basse, table sur laquelle n'était posée aucune revue, ni rien d'autre. C'était une table nue.
Alors, et puisque l'instant était grave, je me suis mis à lire les murs.
...
( ... sous la table nue, une fable tue )
RépondreSupprimerÀ défaut d'avoir des oreilles, les murs ont parfois des mots en relief, et la couleur du mystère...
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup !
J'ignorais que Jean-Paul Sartre avait exercé, dans une autre vie, la profession de vétérinaire : il est vrai que ses congénères étaient, pour certains d'entre-eux, de drôles d'oiseaux.
RépondreSupprimerCes photos de mur me font penser à un Soulages qui aurait soudain changé son fusil d'épaule (il aurait rôdé à Esbly !).
lire les murs, feuilleter les sols, creuser
RépondreSupprimerTraces et reliefs, blanc de blanc, pierres de champagne.
RépondreSupprimer@tous: merci pour le déplacement
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