Marins d'eau douce
Au point kilométrique relevé sous le pont, le piéton venant de Paris et qui aurait suivi le canal alimentant le bassin de la Villette aurait presque accompli l'équivalent d'un marathon. Dans ces conditions, pour venir jusqu'ici il serait plus facile d'enfourcher un vélo et de suivre la berge. Celle-ci, sur toute sa longueur et de la même façon que le canal, appartient à la Ville de Paris. Elle en assure l'entretien, mais défend aussi formellement aux cyclistes de faire ce qui vient d'être dit. Heureusement, cette consigne officielle est démentie par l'usage ; celui-ci est moins sévère et l'on croise souvent des adeptes du clou dérogeant à la règle. J'en suis, de temps en temps.
Compte tenu de sa faible déclivité de neuf mètres pour ses 97 km de parcours, le canal de l'Ourcq ne compte que six écluses. Lundi dernier je me trouvais près de celle de Vignely et j'ai vu cette étrange embarcation qui ressemblait de loin à un bachot. Son inclinaison me semblant anormale, j'ai craint dans un premier temps qu'elle ne fut abandonnée. En m'approchant j'ai fini par deviner sa véritable vocation ; il s'agissait en fait d'un outil destiné à ratisser littéralement la surface de l'eau lorsque celle-ci se trouve encombrée de déchets tels que branches, feuilles mortes, matières plastiques etc. S'il est encore utilisé, l'engin aura bientôt de quoi remplir sa coque. Et s'il ne l'était pas, s'il s'agissait, en quelque sorte, d'une relique, à l'instar des flûtes d'Ourcq définitivement reléguées ?
Alors il faudrait derechef le sortir de sa léthargie. Il n'était pas possible de rencontrer l'éclusier, sa maison était vide ; avec mon téléphone j'ai donc pris ces deux photos, quelques notes. Apparemment pas de bobos sur la coque, le pont a l'air solide. Sous un incroyable toit de tôle élégamment haut perché, le poste de pilotage. On est assis à fond de cale, le volant est au niveau du plat-bord. Une fois installé, on doit être dans la même position qu'un apprenti capitaine au long cours sur son bateau-école miniature, un peu comme le personnage joué par Depardieu dans La Femme d'à côté. Le pont arrière doit pouvoir être équipé de deux sièges antagonistes, l'un réservé à la godille, l'autre à la lecture. Au passage des écluses il faudra un coup de main, on demandera de l'aide. Pour les repas, pas d'inquiétude, le canal regorge de poissons ; on les voit se faufiler en petits bancs vif-argent dans la lumière oblique du soir.
Il va falloir rencontrer l'éclusier.
(... l'éclusier, ce magicien)
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