Valvins, souvenir d'une tensio-activité







La maison de Stéphane Mallarmé à Valvins, par une claire et tiède matinée d'octobre. L'endroit est calme, peu fréquenté — c'est le moins que l'on puisse dire, paisible. Tout juste la rumeur lointaine de la ville, par dessus les pommiers. Et puis la Seine, reposant liquide, ruban vert perpétuel. Mallarmé loue cette maison dès 1874, s'y installant définitivement à sa retraite presque vingt ans plus tard, après avoir obtenu du propriétaire le droit de louer des pièces supplémentaires, et y ayant fait d'importants travaux.

Difficile, maintenant, d'imaginer les fréquentes réunions mondaines, les rencontres avec des artistes et des intellectuels de l'époque, les amusements ; les pitreries d'Alfred Jarry ou de Toulouse-Lautrec, Misia (lors, épouse Natanson) surexcitée en habits de cycliste scandaleuse. Les tête-à-tête phosphorescents avec Paul Valéry entre deux insomnies. Difficile même d'imaginer la vie avec madame Mallarmé, et mademoiselle. Mais là n'est pas vraiment la question.

À l'intérieur quelques objets, quelques meubles dont on peut, dont on doit se souvenir. Le cabinet japonais, la table de la rue de Rome, un éventail agrémenté de quatrains, un fauteuil à bascule (et la réplique d'un plaid... malheureusement je n'ai pas vu de pipe).
Et puis une petite bibliothèque à l'usage des visiteurs, dans laquelle il est possible de prendre un livre pour aller le lire au fond du jardin, dans le temps qu'on veut. Par exemple, Mallarmé, l'absolu au jour le jour, de Jean-Luc Steinmetz (chez Fayard). Il faudrait alors revenir plusieurs jours de suite.








Il est doux, nécessaire et voluptueux, dans ces conditions, de ne penser à rien. Un à rebours parfait de la métaphysique (ce n'est pas toujours facile), un jeu : néant, vide, rien. 
La guinguette voisine, joliment (et opportunément) nommée « l'anneau de Mallarmé » fera largement l'affaire. À cet endroit l'écrivain amarrait sa yole, baptisée le S. M. (à tous vents ?) Aujourd'hui quelques petits voiliers tentent courageusement de remonter le courant. Deux ou trois riverains commentent et conseillent, à distance, la manœuvre...






Deux ou trois heures (et autant de verveines) plus tard, je reviens vers une construction étrange qui m'avait effleuré en sortant de la maison. 

Mais oui, à l'évidence il s'agit bien ici d'un des derniers exemplaires du fameux « sustensioscaphe », cette embarcation imaginée par un ingénieur dont j'ai oublié le nom et qui, par le jeu de spatules télescopiques revêtues d'une substance hydrophobe (et amphiphile), était sensé imiter le maintien d'une puce d'eau, son pilote étant alors littéralement soutenu et porté, par cet ensemble délicatement articulé, sur les flots. 

On voit d'ailleurs encore très bien sur cet exemplaire (ici replié, au repos) le siège amovible destiné à recevoir le metteur en nage. J'ignore tout de l'abandon du projet, subodorant hélas un pâle naufrage du prototype, sans doute sous l'effet des risées. Ou bien peut-être fut-ce l'obligation technique de légèreté qui, interdisant qu'on y naviguât à deux, avec pour conséquence l'impossibilité d'emmener avec soi une équipière, que dis-je, une copilote, fit l'engin plonger dans l'oubli. En tout état de cause je préfère cette dernière explication, la seule sérieuse à mon sens, largement suffisante pour justifier le report de cette sublime entreprise.






(Il y avait donc encore, et du travail, et de l'espoir.)




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