Le verre souffleur





Lundi dernier, toujours, c'était une visite rendue à Varengeville, son église Saint-Valéry (abbé de Leuconay) et son cimetière marin, à ne pas confondre avec son pendant sétois où se trouve un autre Valéry (qui lui n'était pas un saint). Il paraît que Georges Braque, longtemps voisin et pour ainsi dire définitivement puisqu'il y est enterré, par ailleurs auteur d'un des remarquables vitraux (ne pas oublier ceux de Raoul Ubac), se baladait dans la région en Bentley, conduit par son chauffeur. Par seul esprit de contradiction (et surtout pour faire honneur à un ciel engageant) nous aurions préféré cette modeste Triumph avec conduite à droite, hélas elle était déjà prise, comme l'indiquaient les deux serviettes de bain tendues sur les sièges pour éviter de se brûler les cuisses au contact du cuir surchauffé, et ce n'étaient pas les nôtres.


Il semble inévitable que dans un avenir plus ou moins proche, en tout cas appréciable à l'échelle d'une vie humaine, la mer aura définitivement emporté et le cimetière et l'église, en dépit des efforts considérables faits pour retarder la catastrophe et qui au mieux transformeront l'endroit en presqu'île voire en île, comme un Mont-Saint-Michel en réduction. Une autre solution serait de s'inspirer du sauvetage d'Abou Simbel par l'UNESCO et de tout démonter pierre par pierre (et tombe par tombe), avec reconstitution du puzzle à l'intérieur des terres ; ainsi la question serait réglée, déplacée pour plusieurs siècles. De toute façon il n'y a pas d'alternative, sauf à laisser glisser l'ensemble sur la plage, à l'instar du blockhaus, ou de la casemate de Sainte-Marguerite. Solution qui ne sera sans doute pas retenue.


...

Émotion, confusion, trou de mémoire... je ne sais. En tout état de cause j'entrais dans l'église avec la certitude de revoir, dans une chapelle latérale, un petit vitrail de Georges Rouault dont je me souvenais très bien. À cet instant précis c'est la distance du souvenir qui aurait dû me détromper, aider mes idées, par la qualité de la poussière déposée sur la mémoire, à se remettre en place. Mais il m'a fallu plusieurs secondes avant de me rendre compte que le vitrail en face de moi, à portée de main, n'était pas de Georges Rouault mais de Jean Renut. Vitrail d'ailleurs tout à fait remarquable dont la seule présence mérite le déplacement, en tout cas l'équivalent d'une véritable apparition le jour où je l'avais vu pour la première fois, jour pas si éloigné puisque l'oeuvre fut posée en 2005.



En contrepoint de cette rencontre revenait alors à mon esprit le souvenir responsable (mais pas fautif), le vitrail de Georges Rouault à l'église de Passy (il s'appelle, ironie du temps, Flagellation, sous Sainte-Véronique dans le lien), les circonstances de sa découverte, l'environnement d'altitude, les êtres contemporains de l'époque et qui pour la plupart ne sont plus, la foule des évènements concomitants, etc. Cette bousculade, ce tourbillon allaient m'immobiliser quelques secondes supplémentaires.

La mémoire est étrange. Ses défaillances nous empêchent et dans le même temps elles nous emportent ailleurs.

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Commentaires

  1. Merci pour cette balade dans vos souvenirs et pour la découverte (pour moi) de ce second cimetière marin. La mer emportera les souvenirs des hommes ici et ailleurs...

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  2. Les souvenirs sont des tombes temporaires... Imaginons les caveaux comme des barques.

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  3. La défaillance de la mémoire est une vacuité mémorielle qui laisse de la place pour s'emplir...

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    ArD

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