Sables




Il est courageux de rester, de prendre ses distances avec les vacances, ce mot de trop, cette inutile et prétentieuse futilité. S'il y a quelques fâcheux pour s'en étonner, railler, contester, moquer ou jalouser, qu'importe, foin ! et si un prétexte est nécessaire, donner celui d'un impérieux besoin d'air intérieur. Ou alors l'infortune, on comprend mieux et ça marche toujours (pas de sous, pas de vacances). Quoi qu'il en soit, l'importun, du vent ! Nettoyer l'antre du sol au plafond et de la cave au grenier est l'affaire d'une grande journée, tout au plus. Indispensable réparation du terrain de jeu. Ensuite, un grand sommeil et puis une discipline, ferme et agile, pour cuisiner le silence tonitruant du mois d'août. Beaucoup de thé, fort, dès cinq heures du matin. Corps en éveil, extension des ramifications dans l'espace inoccupé jusqu'alors. Le contraire du repli, de la retraite. Disponibilité des outils, cela va de soi. Connexion. Fenêtres, onglets. 24h/24. Mots choisis entre 6-8 et 18-20 pour les 140 obligés (afflux). Mots d'auteurs, références, photos. Précision millimétrique du blog. Pas un pet de travers (cette phrase, juste, serait éliminatoire). Viser vers le haut, toujours, surtout dans les moments d'extrême concision. Cibler l'essence, l'esprit ; la légèreté est à ce prix. Surtout, penser liens, disperser sa dépense et faire rebondir celle des autres. Il y a certainement quelque chose de l'ordre du combat, de la résistance, à distiller dans le web une formulation poétique. Même — et surtout, inintelligible, déconstruite (ou son contraire), perplexe, surtout quand elle ne sait pas où elle va (ne pas oublier qu'on continue d'écrire pour connaître la suite) la poésie peut, tel un bataillon d'infiltration, fissurer provisoirement (et seulement provisoirement, ce pourquoi il faut continuer) la forteresse des idées reçues. Le réel est peut-être, selon un mot dont on a oublié l'auteur, mais ça reviendra, une hallucination due au manque d'alcool, il n'en reste pas moins que ce manque est constant, ici-bas ; mésinformation généralisée, pièges volontaires, groupes d'action réactionnaires, émulation faussaire, force est de reconnaître que la connaissance, justement (et son corollaire la poésie) est en danger. Il faut faire contrepoids, y mettre toute sa sueur. La noblesse du travail poétique le plus infime, le plus modeste sur la toile, quelles que soient les intentions de l'auteur et sa foi dans le résultat, est de contribuer à la résistance. Alors c'est beaucoup de travail. Nous avons quinze jours (d'autres continueront). À la dernière heure, effacer les rides avec de la camomille et du savon (de Marseille). Fin des vacances, reprise des activités ordinaires.





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Il est doux de partir, abandonner l'antre et ses reliques, ses menottes et sa férule. Laisser aussi son personnage, tiens, on l'avait oublié celui-là, et pourtant il nous colle à la peau. Prendre quelques livres, bien sûr, deux ou trois tout au plus (mais déjà, n'est-ce pas trop), un petit Larousse de poche, un calepin et un crayon et puis c'est tout. Poids du barda 3 kg 8 (à 200 g près). Laisser les sandales prendre soin du chemin. Flâner, rêvasser. Dès maintenant, il n'y aurait plus rien à dire car on n'aurait rien fait, rien de notable en tout cas. Hormis, et presque par parenthèse, quelques siestes à l'ombre des pins maritimes, deux ou trois châteaux de sable sur une plage normande, basque ou bretonne, peu importe, avec les petits-enfants. En continuité, quelques devoirs de vacances sous forme de jeux avec le calepin et le crayon (quatre fois deux ? huître !) et après il n'y aurait plus de calepin mais il resterait le crayon pour écrire ou dessiner des cartes postales, ou les deux à la fois, avant l'augmentation prévisible du prix du timbre, indexé sur le coût de la vie (la faute à qui, cette hausse, et la vie a-t-elle un prix ? bref). Quelques moments intimes, non indexés sur quoi que ce soit. Des hostilités, sans doute, dans certains lieux comme déjà tenus de haute main par des aristocrates aux prérogatives auto-attribuées. Il faudrait alors contourner l'embarras de ce choix prétendu et chercher à quatre pattes des trèfles à quatre feuilles au milieu des moutons aux pattes innombrables. Serait-il possible, aussi, d'aller plus loin, plus loin derrière la dernière colline il y en a encore et toujours une autre alors on chercherait quoi... la répétition, la courbe parfaite, l'harmonique ? Après, on ne se souviendrait plus de rien puisque personne ne l'aurait noté et dès lors le but serait atteint, tout reviendrait tôt ou tard (juste avant la mort ? si c'était après ce serait ennuyeux, il faudrait encore tout reconsidérer, quel travail) à la faveur d'une pluie chantante, d'un rêve bavard, d'une inflexion de voix, d'une tournure de phrase, d'une caresse involontaire, d'une lecture trop rapide, qu'importe l'évènement tout reviendrait par bribes et ce serait comme une ultime aventure de reconstituer le patchwork, la dernière illusion d'un horizon maritime qui n'existe pas.






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Et puis au terme de ces jours sans vent un orage est venu tout synthétiser, nocturnement. Au matin, les derniers fruits du vieux prunier avaient précipité leur chute du même côté, celui que le vieillard ne peut plus voir à cause d'une ramure difforme et disproportionnée. On aurait dit ces oiseaux mauves qui pressentent la fin de l'été et se rassemblent pour deviser augures et tactique sur les poteaux téléphoniques avant le grand départ sous des cieux supposés bienveillants.

Les prunes ne savent pas encore que la prochaine étape de leur migration sera, sauf accident, la casserole à confiture. Personne ne sait non plus pourquoi, à un moment précis et pourtant essentiellement dû au hasard, en appuyant sur la touche entrée d'un ordinateur ce texte est soudain propulsé dans un proxy qui lui ouvre les portes d'une immense étendue de sable.







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Commentaires

  1. Oui, les prunes sont ignorantes de leur destin (comme nous ne connaissons pas le noyau de l'histoire qui nous pend au nez). La plage est un horizon liquide.

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  2. Garder la bonne distance avec son personnage, et le regarder comme dans un rêve, faire glisser le sable entre ses doigts et le vent sur sa peau. Regarder le livre que l'on a apporté, réchauffer ses pages au soleil et s'endormir sur un rêve de prunes violettes...

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  3. ces images du passage des aéronefs me plaisent toujours (le reflet à la flaque aussi) mais je suis parti, je suis revenu et voilà... (:°)))

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