Surimpression sentimentale
Je le revois assis dans le Voltaire, ce meuble qui me vient de ma mère (et de je ne sais plus qui avant elle) et dans lequel elle s'endormait le soir, recroquevillée sur sa revue. Il fallait la réveiller, elle se dépliait avec précaution et allait boire un café dans la cuisine avant d'aller se coucher (je croyais pourtant ce souvenir exilé profondément, dans une région difficile d'accès).
Refait avec un tissu chic assez moche — question de goût — à la fin des années 70 ou début 80, le bois abîmé par les recloutages successifs mais qu'importe : un acteur, un témoin. Un personnage.
Refait avec un tissu chic assez moche — question de goût — à la fin des années 70 ou début 80, le bois abîmé par les recloutages successifs mais qu'importe : un acteur, un témoin. Un personnage.
À l'extérieur, la neige avait tout englouti. Il s'y trouvait tellement bien, dans ce fauteuil, il le considérait avec une si belle, une si visible joie que j'étais presque prêt à le lui donner. Et il en a parlé avec tant d'affection. Alors oui. En réalité oui, je le lui ai donné. Après tout, ici on ne sait jamais où le mettre exactement, il prend tellement de place dans notre pièce minuscule (un bon prétexte). Il n'y a pas de doute que s'il m'avait été indifférent je l'aurais gardé. Ou alors l'aurais-je échangé contre un siège plus petit, peut-être même vendu, va savoir. Mais les objets qu'on aime il ne faut surtout pas les vendre, ça les abîme, je préfère les donner.
Il devait passer le prendre, un jour qu'ils partiraient en week-end à la campagne car je n'étais pas sûr que notre voiture fut assez grande pour le transporter (comment fait-on, dans quel sens le mettre ?) quand bien même on en aurait démonté la banquette arrière. De toute façon on n'a pas vérifié, l'allée qui mène au garage n'était plus qu'une vaste congère, la conversation a roulé vers d'autres horizons.
Il n'a pas eu le temps de revenir.
C'est difficile à écrire, juste ça : il ne viendra plus. Le cœur qui flanche. Ce ne sont plus les mots qui déchirent, c'est la chair du papier sur lequel on les écrit qui se délite. Et non, non ce n'est pas la même chose.
Le Voltaire restera à sa place, et toujours entre ses bras vibreront son sourire et son corps en surimpression sentimentale.
...
Présence assise malgré tout... bercé entre ses bras...
RépondreSupprimermerci Dominique
SupprimerLe plein s'adosse au vide quand les accoudoirs soutiennent le souvenir.
RépondreSupprimerArD