Les géants
Pour aller vers le canal il faut d'abord franchir le chemin de fer. L'ancienne ligne de Paris à Strasbourg a été rétrogradée en train « express » régional, ce qui signifie pour le dur de s'arrêter à peu près partout, au rythme banal d'un RER. Parfois un train de marchandises défile en hurlant, alors par précaution une passerelle a remplacé le passage à niveau. Sont ainsi évités des « incidents de voyageurs ».
La rencontre avec le canal de Chalifert, quand même le jour n'est pas encore tout à fait levé se fait sans encombre à condition de connaître un peu la physionomie du terrain car celui-ci, voué au fret contrairement à son faux jumeau le canal de l'Ourcq, dont l'unique rôle était l'adduction d'eau potable depuis la forêt de Retz, trace une presque parfaite ligne droite jusqu'à la Marne quand elle vient de quitter Meaux.
Au retour de cette marche dans l'heure dorée, et tandis que la première péniche se fait précéder d'un martèlement lointain dont on ne localise pas la provenance, à la faveur d'un angle de lumière particulier je remarque pour la première fois un amoncellement régulier de blocs de pierre au bord du lit et sous un pont. Elles dessinent la figure d'un géant pétrifié, invisible en temps ordinaire, sans secours oublié là. D'où venait-il, et pourquoi cette chute ?
Le jour d'avant, tandis que je remuais des souvenirs dans les profondeurs du disque dur à la recherche de photos de Beaubourg que je n'ai pas trouvées, je revoyais par contre (et aussi un peu par hasard) quelques images contemporaines prises lors d'un séjour en Grèce. En particulier, il y avait ces structures submergées dans le port du Pirée qui nous avaient tant intrigués.
Toujours « feuilletant » le catalogue, j'arrivais à cette côte dont je n'ai aucun souvenir. Paros ou Delos, peut-être, pendant le cabotage en mer Égée. En tout cas une de ces îles saturées de bleus qui servent désormais de bouée de sauvetage provisoire aux nombreux réfugiés qui ont eu la chance de ne pas périr auparavant, et qui seront ensuite le jouet d'un mécanisme diplomatique aussi glorieux que la négociation d'un quota de CO2.
Aujourd'hui, de l'autre côté du canal les forains se sont installés pour quelques jours, comme chaque année à la même époque. La rumeur dépose déjà une couche sécuritaire, il est recommandé d'être prudent, de bien fermer portes et volets pendant son absence sinon gare à ses meubles, ses femmes et ses filles.
Je les aime, avec leur cœur qui bat vite dans les woofers et les tourbillons, et l'eau dormante est complice.
Mais la joie est factice,
ceux pour qui le mal est partout, ils fantasment à partir de leur propre défaite.
Le reflet de leurs caravanes montre bien la duplicité de ces gens-là...
RépondreSupprimer(Cela me fait penser au "camp" installé devant la prison de Loos-les-Lille : comme s'ils étaient ainsi rapprochés du seul lieu qui leur est un jour destiné.)
Les photos nocturnes s'ouvrent par bonheur sur les voyages libres offerts par les livres...