Palace et compagnie
Le « tropisme invincible », écrit Paul Valéry (mais à propos des peuples de la Méditerranée) est plus fort que tout : sans se faire prier on s'est retrouvés au bord de la mer.
Le premier contact eut lieu à Anglet je crois, au lieu dit la Chambre d'Amour et à la marée basse en milieu d'après-midi. Je me souviens de couleurs saturées par l'absence de brume, des bleus à n'en plus finir de les décrire, d'un fort vent de sud et de terre, et surtout du très large interligne entre les vagues à cet instant petites, et cela facilitait leur lecture.
Le premier contact eut lieu à Anglet je crois, au lieu dit la Chambre d'Amour et à la marée basse en milieu d'après-midi. Je me souviens de couleurs saturées par l'absence de brume, des bleus à n'en plus finir de les décrire, d'un fort vent de sud et de terre, et surtout du très large interligne entre les vagues à cet instant petites, et cela facilitait leur lecture.
Il y avait là, près de la plage, garée n'importe comment pour mieux la ravir, une Porsche encore intacte, de cette belle couleur vert d'eau qui me rappelle, à chaque fois que je la vois, celle de la FIAT conduite par Jacqueline Beausergent, et qui renverse le narrateur place des Pyramides dans les premières pages d'Accident nocturne, de Patrick Modiano. C'est l'instrument rêvé du désir et de l'imagination, de la bousculade et du réveil (dans cet ordre). D'ailleurs, très vite, après une balade à pied mais à toute vitesse dans les esses du circuit biarrot (qui n'est pas sans rappeler l'escarpement monégasque, quelques immeubles en béton en moins) nous voici installés à la terrasse de l'ancienne Villa Eugénie, désormais tristement nommée Hôtel du Palais. La vue est sans conteste magnifique, à la hauteur des ambitions du directeur, mais l'attrait est ailleurs et, prétextant l'éblouissement je tourne rapidement le dos au panorama.
En cette saison intermédiaire le palace est loin d'être rempli, seuls trois ou quatre clients prennent du temps en terrasse, pas trop loin de l'entrée du bar. La piscine, pourtant chauffée, est vide et le restera (elle comporte quatre couloirs, dont deux parfaitement rectilignes, les deux autres épousant la féminité du bassin). Le maître d'hôtel, d'une exquise délicatesse sous un faux air de Gary Cooper, a un mot pour chacun, et même une phrase impeccablement construite, la politesse et la syntaxe devant être comprises dans le prix (c'est surtout ce dernier point, essentiel, qui m'a fait réserver une chambre au cinquième étage, chambre dont les fenêtres ouvrent sur la mer, et ce pour une période indéterminée, inoubliable par tacite reconduction jusqu'à l'improbable épuisement du crédit illimité dont je dispose désormais, chambre tendue de damas rouge et meublée d'un joli fauteuil crapaud qui me fait de l’œil quand je rentre, seul, le soir).
Une famille s'installe en terrasse, un père avec sa grande fille et ses deux fils, on dirait des jumeaux, ils regardent tout autour et font quelques allers vers les vestiaires des bains ou vers ceux des douches, et puis avec la benjamine qui doit avoir six ou sept ans. Ou bien peut-être est-ce un groupe constitué de toute pièce pour des photos de mode à paraître dans Madame Figaro ou M, le mag, le style, etc. En tout cas je retrouve, dans leur mise et dans leur port, l'élégance des gravures qui accompagnaient les lectures de la Bibliothèque verte, il y a presque cinquante ans. À un moment donné, entre l'illustration et la représentation, le maître d'hôtel vient s'enquérir du bien-être des individus face aux assiettes de fruits de mer, tout particulièrement s'adressant à la petite fille : « cela vous plaît-il, mademoiselle ? », ce à quoi elle répond : « oh oui, merci monsieur » et c'est à cet instant précis, après avoir entendu ces mots, vestiges d'une époque oubliée, que dis-je, engloutie, à cet instant béni, d'émotion je défaille et presque me meurs.
L'évocation d'un palace aurait tendance à nous faire verser dans les phrases longues, et cet exercice exigeant ne supporterait pas l'arrivée, en sus, d'une ex. Il sera préférable alors de s'en remettre à des plans cinématographiques finement découpés, avec la petite musique du dialogue qui accompagne le tout vers la fin. D'ailleurs, cut : l'orage gronde déjà.
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le charme d'une déambulation touchante de justesse
RépondreSupprimer(dans cette amicale interprétation, je vous suis sans détours :)
SupprimerVous me faites aimer les palaces ! Merci pour cet enchantement partagé, et les nuages et les vagues…
RépondreSupprimerMerci pour votre passage, et le bon côté des choses !
SupprimerUn palace (et des photos) comme on n'en fait plus. La Porsche a échappé au vandalisme et la piscine contourne joliment la loi des reins des compétitions.
RépondreSupprimerModiano n'aurait plus qu'à bien se tenir ?
Modiano s'est très bien tenu jusque là :-)
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