Aux seuils
L’autoroute,
une fois quittées l’aire urbaine et ses congénères axiales ou
perpendiculaires, fait moins sa maligne. Son extension se résume à
un coup de canif superficiel et la forêt, en quelques endroits,
pourrait l’engloutir aisément, comme c’est parfois le cas en
Sologne, lorsqu’une voûte semble se former au-dessus du flux. Un
peu plus loin, des taches éparses de bruyères en fleurs et de
feuilles roussies sont un affront au vert absolu et pourraient
annoncer la fin de l’été. La campagne dorée et presque
croustillante du Berry invalidera cette hypothèse.
Il
y a sur le toit de la voiture une sorte de malle censée seconder la
bonne volonté du coffre arrière. Au-dessus de cent à l’heure,
comme dans un accès de bonheur elle se met à siffler sur deux tons
de chaque côté de l’auto. Il se trouve que cette malle,
d’ordinaire recluse sous les toiles d'araignées dans le fond du
garage, entretient avec ma mémoire un rapport complexe, presque
douloureux, aux origines sentimentales certaines. Par conséquent,
l’entendre chanter au-dessus de ma tête et parmi d’autres voix
parfaitement contemporaines, est une évidence.
Nous
arrivons, tard dans la soirée, dans ce qui sera notre maison pour
une dizaine de jours. De chaque côté de la cheminée, la présence
de deux chromos éblouissants et d’un bas relief creusé (on dirait
presque : moulé) dans le balsa, tous trois d’inspiration
régionaliste, est une preuve de l’existence du stable. Mais dans
les monts de Blond, à quinze kilomètres au nord
d’Oradour-sur-Glane, quelles que soient la douceur des toponymes et
l’amabilité des reliefs usés par les ans, il est plus difficile
de croire à celle de Dieu.
Avant
le crépuscule, assis sur le seuil dans cet instant éphémère qu’il
est juste de ne pas vouloir stopper, des petites fleurs rappelant le
myosotis, mais dont j’ignore le nom, s’illuminent sous mes pieds
en réponse au scintillement naissant des étoiles. Les corps
déformés de vieux pommiers font la colonnade nécessaire pour
emboîter l’ensemble, qu’un héron transperce en silence et en
biais.
Le
lendemain matin, au même endroit et partout ailleurs un loriot joue
trois notes graves sonores par-dessus le staccato d’un pipit, lente
et suraiguë basse continue. C’est le seuil d’un autre monde, ou
plutôt de mille autres mondes ; secrets, ils nous frôlent,
nous parlent à l’intime puis s’échappent, se mélangent avant
de revenir. On dirait qu’ils se jouent de nous, il est très
difficile de l’exprimer. Au fond, il n’est peut-être pas besoin
de le faire. À quoi bon écrire les frontières de l'âme ? Il
faut en tout cas un certain penchant pour ces déclinaisons.
J’essaierai
de trouver, dans la journée, un endroit d’où je puisse copier,
insérer et expédier ce textulet sur les ondes. Un endroit en
hauteur, ou en vue d’une antenne, ou alors bien orienté. Un
endroit où faire passer le bruissement du silence.
...
Il faut glaner ici ou là (même si les souvenirs se bousculent à la pelle).
RépondreSupprimer(et merci pour la correction orthographique, pardon pour ce circonflexe qui aura heurté ton œil expert ; le mal est réparé)
SupprimerMerci pour cette poésie qui bruisse en silence sur votre route.
RépondreSupprimerMerci à vous pour votre passage par ici
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