Emboîtements
Faisant face au fauteuil, une télévision sur l'écran de laquelle défilent, grâce à la liaison WiFi, les photos prises depuis la veille avec le smartphone. Elles passent en boucle à la façon d'un diaporama, laissant à l'opérateur la possibilité d'éliminer, d'un simple mouvement du pouce, celles qui ne lui conviennent pas. Lorsque l'exercice est terminé, on éteint le smartphone et le poste bascule impromptu sur une chaîne diffusant un épisode d'Hercule Poirot. Celui-ci s'exprime à la troisième personne, provoquant ainsi l'amusement, l'embarras, l'ire ou l'effroi des allocutaires. Hercule, ce héros de la phrase.
L'aventure a pour prétexte un crime dont on ne devinera pas grand-chose ; aussi faudrait-il être plus attentif à ce qui se dit. Le désœuvrement du moment fournit cependant l'occasion de se laisser bercer par l'impeccable maintien des dialogues, tandis que le regard glisse progressivement sur les boiseries et les murs nus. Derrière l'écran de télévision sont deux grandes fenêtres à petits carreaux donnant pour partie sur l'église, quelques toits de la rue principale aux ardoises encore jaunes de soleil, et puis la vue s'étend vers une colline distante d'à peu près deux cents mètres, bouclant l'horizon de son vert tendre brossé d'argent. Un ramier jailli du dessus de la maison file en ligne droite devant lui, sa taille diminue rapidement avant de se cabrer vers le ciel comme un biplan au-dessus de la foule d'un meeting aérien.
L'un des carreaux de verre délimite un périmètre de pré mouillé en pente douce. Dans son coin supérieur droit croît un arbre qui doit être un pommier et dont l'ombre sort du cadre vers la gauche. Ce tableau, d'un format rectangulaire horizontal, est déjà en lui-même un enchantement. Bientôt, le voici habité par deux bovins paisibles aux déplacements lents et mesurés comme s'ils réfléchissaient, sans trouver de réponse, au moyen de faire demi-tour sur la pente imprudemment gravie. L'un finit par poser sa tête blanche sur la croupe rousse de celui qui le précède et ils restent immobiles, perdus dans leurs ruminations. Tout au plus peut-on voir une queue s'agiter, sans doute pour chasser la ronde exaspérante d'un invisible taon. On dirait presque une toile de Paulus Potter qui attendait quelqu'un.
La télé s'est éteinte toute seule depuis longtemps, faute, a-t-elle signalé mais sans recevoir de réponse, de « détecter une présence ». Sur la colline, le début de la nuit a assombri la scène dont la teinte est désormais d'un violet tirant vers le gris, analogue à celle qui veillait sur les premières lectures avant que maman ne l'interrompe : « tu vas t'esquinter les yeux ». La vitre est ancienne, légèrement ondulée, si bien qu'en dépit de l'immobilité du sujet, un infime déplacement de la tête provoque des distorsions donnant l'illusion d'un mouvement indépendant de la volonté des bêtes et de la marche du monde.
Le soleil vient d'entrer dans la pièce, en atteste la couleur sang que prend l'univers au réveil à travers les paupières closes et tiédies. Le sommeil aura eu raison de l'observateur en son fauteuil à bascule, mais que s'est-il passé entre-temps ? Déjà le rouge-gorge, ce « petit piéton » cher à Philippe Jaccottet, sautille dans l'allée en piaillant tout son saoul, il se moque des fleurs et des bons sentiments, seule importe pour lui une présence humaine.
La télé s'est éteinte toute seule depuis longtemps, faute, a-t-elle signalé mais sans recevoir de réponse, de « détecter une présence ». Sur la colline, le début de la nuit a assombri la scène dont la teinte est désormais d'un violet tirant vers le gris, analogue à celle qui veillait sur les premières lectures avant que maman ne l'interrompe : « tu vas t'esquinter les yeux ». La vitre est ancienne, légèrement ondulée, si bien qu'en dépit de l'immobilité du sujet, un infime déplacement de la tête provoque des distorsions donnant l'illusion d'un mouvement indépendant de la volonté des bêtes et de la marche du monde.
Le soleil vient d'entrer dans la pièce, en atteste la couleur sang que prend l'univers au réveil à travers les paupières closes et tiédies. Le sommeil aura eu raison de l'observateur en son fauteuil à bascule, mais que s'est-il passé entre-temps ? Déjà le rouge-gorge, ce « petit piéton » cher à Philippe Jaccottet, sautille dans l'allée en piaillant tout son saoul, il se moque des fleurs et des bons sentiments, seule importe pour lui une présence humaine.
Federico Zandomeneghi, Au lit (détail), 1878
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rouge-gorge du matin, joie du mutin.
RépondreSupprimer;-)
SupprimerPetit piéton le matin, jour sans bourdon.
SupprimerArD
La mutinerie ne met pas à l'abri du bourdon
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