Voir le pays, ou le concert familial
L'aquarium domestique, ou comment faire tenir, à l'exemple de la pratique jardinière d'agrément, un condensé de nature dans un lieu clos, gardé. Dans le meilleur des cas, forcer (ou aider, ou adapter, ou composer, on entend tous les mots) cette nature, qui en l'état n'existe pas, à la création d'un domaine esthétique répondant à l'idée que l'on se fait d'une sorte d'endroit idéal, plus ou moins facilement adaptable et reproductible mais désiré comme unique, propriétaire, privé, quand bien même il serait destiné à la vue du public, et quand bien même sa jouissance en serait gratuite (encore un mot dont il faut se méfier).
Ce constat rapide et pas très gai m'a donné envie d'aller voir du pays, autrement dit de me dépayser. Ce n'est pas très révolutionnaire en cette saison, même si l'idée m'en était venue il y a déjà plusieurs mois, dans un fantasme de variation des plaisirs. À cette fin j'ai ouvert une carte de France et pointé l'index chatouilleux au hasard en son centre. Une intuition me faisait penser que j'y rencontrerais sans doute moins de touristes qu'en bord de mer. Non pas que je cultive une misanthropie estivale et, pour mieux dire, citadine ; par ailleurs la campagne n'est pas lieu du silence, des hommes y travaillent. Mais la parenthèse dans les bruits de la ville, en vacances comme partout ailleurs, m'est devenue presque malgré moi comme un luxe ultime, la dernière des richesses dont il serait idiot de ne pas profiter tant que c'est encore possible. Cela dit le critère géographique était évidemment insuffisant, alors il a fallu affiner, comparer, réfléchir. Autrement dit, et pour ne pas perdre trop de temps, éliminer tout le midi de la France, y compris la chaîne alpine. S'éloigner des grandes voies de circulation, fuir la proximité des aéroports, des grandes villes, des autoroutes (mais pas du chemin de fer « d'intérêt local » ni des routes nationales, ou ce qui reste de cette ossature archéologique), s'écarter aussi des lieux de festival, célébrations, concerts et autres concentrateurs (on tolérera bien entendu kermesses et foires locales). Bref, chercher la campagne. Pas la forêt, ni les gorges, déserts, vallons, cascades, massifs, belvédères, pas les réserves naturelles ou les parcs nationaux ; non, pas « la nature » : la campagne. Rapidement s'est dessiné un cercle à l'ouest du Massif central (il y en avait d'autres, mais il a bien fallu choisir), en le rétrécissant j'ai discerné un pays dont le nom m'a souri : « les monts de Blond ». Il n'a pas été difficile d'y louer une maison ordinaire, sans chauffage électrique, ni terrain de jeu, ni spa, ni sauna, ni hammam (mais que va-t-on devenir ?) Il faudra du temps pour s'y rendre. Tant mieux. On va voir du pays. Du réseau ? de l'ADSL ? Foin ! Des gens.
L'évocation de ces pays de la France, qui pour l'instant ne sont que des idées devant lesquelles je suis assis, même si cet atelier s'est produit plusieurs fois par le passé, me conduit au souvenir très précis de ma mère buvant son café, et je serais bien en peine de comprendre comment cette image sensible me revient inopinément après ce que je viens d'écrire. Elle buvait son café, en toute circonstance sauf exceptionnellement le dimanche s'il y avait du monde à la maison, dans un verre Duralex, celui qui avait accompagné son repas et contenu son vin. Ce en quoi elle ne devait pas différer de millions d'autres Français, après tout pourquoi salir une tasse quand on est en famille. Mais le plus surprenant dans cette anecdote banale, presque triviale, est que j'entends encore le son de la petite cuillère tournant dans le verre trempé, elle mélangeait inlassablement son sucre bien après qu'il se fut dissous, et seul le souvenir — encore une fois, par quel mystère mobilisé en boucle ? de ce son de cloche onduleux et aigrelet est à même de me faire entendre à nouveau le timbre de sa voix, comme sorti d'un invisible magnétophone, et, par ricochet, celui de tous ceux qui étaient autour de la table. Bien sûr, nous avions beaucoup voyagé ensemble, dans ces pays dont le souvenir a amplifié l'agrément, mais est-ce vraiment la clé de l'énigme ?
On espère tout de même que ces vacances ne seront pas réductibles à un concert de convocations. Enfin, on essaiera tout de même de garder le fil, à défaut de ligne. Et puis il y a les livres, dont les coulisses se fichent bien du décor extérieur.
...
Mini prix, maxi Proust, il fait le maximum !
RépondreSupprimerArD
La pub, je veux bien, mais sous son aspect campagne évidemment !
SupprimerUn "fuir" tout à fait baudelairien...
RépondreSupprimer(mais en parler après ou pendant, la différence serait mince)
C'est vrai, c'est pourquoi je préfère prendre les devants.
Supprimer