Hors nos cryptes





Veaux, vaches, chevaux, mes frères et mes sœurs.

Pendant la découverte d'une grotte ornée de figures pariétales telle que Lascaux, Niaux, Altamira, etc. ressort progressivement, paraît-il, mais avec évidence, au-delà de la beauté des représentations, notion fort subjective, quelque chose de beaucoup plus large qui se trouve être de l'ordre de l'intimité dans laquelle l'homme se situe au milieu des animaux qu'il représente, de la part réduite de sa propre représentation au milieu d'eux, en quelque sorte : de son effacement. Au gré de l'évolution, certains de ces animaux ont disparu, d'autres sont parvenus à notre époque quasiment inchangés, mais il est certain que notre rapport à eux n'est plus le même puisqu'ils sont désormais asservis, la plupart du temps industriellement, dans les mêmes conditions d'ailleurs qu'une grosse partie de l'humanité l'est par la plus petite, jusque sous nos murs.

Jean-Christophe Bailly, dans son inépuisable Dépaysement* (le), cite l'anecdote, alors qu'il visite en compagnie d'un groupe de touristes américains la grotte de Font-de-Gaume au bord de la Vézère, d'une femme éclatant en sanglots en pensant à l'âge des bisons qu'elle a sous les yeux, « et nul, sauf elle, n'en fut surpris ou gêné ». Il n'est pas impossible aussi qu'un saisissement soit à l'origine de cette émotion, saisissement devant le mystère ainsi dévoilé, l'aboutissement et la naissance de quelque chose, mais quoi ? Les premières églises romanes donnent peut-être une idée résumée de cette inquiétude, sous leur voûte en cul-de-four, mais à quel prix.
Lorsque nous nous rencognons dans notre propre grotte, dans notre crypte, pour nous protéger temporairement des rugosités du monde, lorsque nous nous essayons au silence, peut-être aussi pour retrouver une intimité perdue qui nous hante (encore faut-il avoir les moyens de le faire, c'est-à-dire la force de se soustraire au bruit continu, il faudrait presque parfois y être convié, aidé, tant est grand le risque de retrouver ses propres fantômes) alors possiblement nous pouvons rejoindre cet attachement, cette correspondance avec non seulement l'humanité toute entière, mais aussi avec l'ensemble du vivant. C'est sans doute une utopie mentale, reste à espérer qu'elle ne soit pas dangereuse mais quoi d'autre.

Quoi qu'il en soit, et sans faire le moindre grand écart, il est permis de se sentir plus proche de ces hommes-là, de ces artistes, de leur respiration, de leur inspiration, que d'un hypothétique ancêtre gaulois (chevelu ?) besognant à son araire ou, pire encore s'il était possible compte tenu de l'idéologie fascisante véhiculée par les deux imageries, d'un Celte (rasé ?) sculptant sa croix (et tout ce beau monde, évidemment, de guerroyer contre l'envahisseur, comme se doit de le faire tout bon nationaliste, tout vrai nationaliste). C'est dans les articulations d'un tel langage que se plaît la terreur.

Veaux, vaches, chevaux, mes frères et mes sœurs.








* Jean-Christophe Bailly, Le Dépaysement, Voyages en France, Seuil, 2011


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Commentaires

  1. pour ces artistes n'oserais me sentir proche, moi j'en tiens pour les ligures et leur simplicité passée sans traces ou presque.. les celtes ne sont que des envahisseurs venus du nord et de l'est je crois

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    1. En vous lisant, je relis aussi par ailleurs et apprends que le toponyme « Névache » est attribué à l'influence ligure, sourire.

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  2. Quand je pense que nous les sapiens avons défendu nos grottes contre les néandertals cousins, et les avons exterminés, je ne suis pas très fière de nos antécédents...
    Il me semble que dans cette énumération de mammifères, vos avez omis les cochons qui sont médicalement parlant, un de nos plus proches "cousins", avec les bonobos, il s'entend !
    Merci pour ces photos et les couleurs éclatantes qui redonnent le sourire (avec vos mots évidement) !

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    1. En effet comment ai-je pu oublier le cochon, où tout est bon paraît-il (et chez le bonobo, je ne doute pas que tout soit beau) !

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  3. Le plongeon dans l'eau si verte pourrait rafraîchir les idées moisies. Dommage qu'une échelle de secours soit implantée sur la berge.

    Les photos participent de la ronde historique : la visite d'une grotte (voire de sa copie) peut créer un sentiment d'éternité comme une église peu fréquentée. Un singe prêche parfois en chaire.

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    1. Il paraît que Dieu est mort, on doit donc ces temps-ci se trouver en face d'une copie ! :)

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