La latitude des chevaux
Un vent d'ouest tout nouveau nous a apportés de beaux nuages encore pleins du blanc de l'océan. Le gris est leur face sombre, sans doute parce que c'est par là qu'ils nous voient.
Dans les prés de Montigny, sur la hauteur, des enclos où se promènent de jeunes chevaux en résidence. Des cavaliers parfois les montent, le weekend.
Je repensai — mais la lecture en était encore fraîche — au livre d'Erri de Luca, Sur la trace de Nives*.
C'est une conversation avec une himalayiste italienne, Nives Meroi, conversation amorcée sous une tente du camp de base du Dhaulagiri (Népal, 8167 mètres) alors qu'une tempête ne permet pas de mettre le nez dehors. Je savais que l'auteur était un passionné d'escalade, mais pas à un tel point, et je n'avais jamais lu ce livre-ci.
Il y est souvent question du vent, omniprésent à ces altitudes comme on l'imagine (Nives Meroi a pour ambition d'être la première femme au sommet des 15 plus hautes montagnes du monde ; à ce jour elle en a atteint 14).
Et c'est justement dans un chapitre intitulé sirocco (il n'y a pas à proprement parler de chapitres, ce sont plutôt des notes que l'auteur insère pour, en quelque sorte, donner le ton que la conversation va prendre), dans ce passage donc, De Luca vient à parler d'un endroit du Pacifique Sud, une zone morte, sans vent :
« Les voiliers qui échouaient là par erreur devaient se débarrasser de tout leur chargement et de leur lest pour arriver à se déplacer. Ils jetaient même à la mer les chevaux, qui étaient l'arme la plus redoutable contre les peuples de l'autre hémisphère, terrorisés par la cavalerie. Cette zone de mer s'appelle « latitude des chevaux ». Je l'ai appris dans un livre d'un poète espagnol, Juan Vicente Piqueras. J'apprends volontiers des poètes et des travailleurs manuels quelques vers, quelques gestes qui bourdonnent dans mon corps. Bref, pendant les jours de vent fort, quand le vent ne s'arrête plus, je pense à la latitude des chevaux, au calme plat qui épuise les marins. La pensée de quelque chose d'opposé me tient compagnie. »
Les chevaux de Montigny heureusement ne connaitront jamais ce sort, les cavaliers continueront de les monter même en l'absence de vent. Ce jour-là c'était une jeune femme qui parlait à son cheval dans un anglais impeccable. Je n'ai pas cherché à savoir qui, dans le couple, avait telle nationalité.
En revanche je pensai aux chevaux dont notre esprit doit parfois se séparer, à grand-peine, pour que nous puissions continuer sur la route comme autrefois sur la mer. Quitte à revenir naviguer un jour ou l'autre dans les mêmes parages, tant est puissant l'appel des espaces opposés.
* Erri De Luca, Sur la trace de Nives, Gallimard, 2006
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Belle exprssion, cette "latitude des chevaux" : on pourrait, plus prosaïquement, envisager aussi la "longitude des chevaux", histoire de boucler la boucle (comme les photos présentes).
RépondreSupprimerDe l'altitude à la latitude, il y a un écheveau de souvenirs...
RépondreSupprimerArD