Le diable de la chasse



Contrairement aux apparences, la maison est assez spacieuse et correctement pourvue. Pas de traces d'humidité, et il y a l'électricité. C'est son isolement qui étonne le plus, quand on connait la sociabilité passée de son propriétaire. Le hameau le plus proche est à 3 km, la ville à 10, c'est à dire plus de deux heures de marche. Pas grand chose au fond, pour oublier les années de métro et de RER. Mais les gens, fallait-il fuir aussi les gens ? La campagne alentour est vide, ou plutôt elle s'est vidée. Le garçon me rassure en évoquant le téléphone, et la polyvalence de ses lignes.




Quand vient le soir c'est l'heure de la chasse aux pigeons. On les voit arriver par petits groupes qui se posent sur la cime des arbres pour y passer la nuit. Fatigue aidant, ils ont perdu de leur vélocité. Le pigeon ayant paraît-il une vision sophistiquée, discernant jusqu'au blanc de l'oeil de celui qui l'observe, le chasseur doit se cacher sous un chablis, derrière une grume ou dans un fossé. Immobile, fusil en l'air et chapeau sur la tête, il se couvre de feuilles mortes.

Pas question pour moi de participer à cette activité, je suis resté dans la maison à attendre que cela se passe avec quelque lecture. Mon téléphone portable étant déchargé, il ne m'était plus possible de prendre de photos. Mais peu importe. De mémoire, j'ai tenté de reconstituer sommairement la vue, depuis la fenêtre vers le haut du vallon couronné d'un bois. Le soleil est déjà couché, sur la droite du dessin.





Le premier coup de fusil me fait lever la tête, un groupe de pigeons dérangés par le vacarme tournoie mollement avant de quitter les lieux sans précipitation. L'un d'entre eux vole bizarrement, avec semble-t-il une forme d'hésitation sur la voie à suivre. Finalement il retourne vers le haut des arbres, et brusquement disparait. Le manège continue jusqu'à la nuit tombée.



On n'y voit presque plus rien, c'est l'heure d'aller brûler une lampe. Machinalement, je regarde une dernière fois par la fenêtre et il me semble apercevoir un chien sur le talus, à une dizaine de mètres. Regardant plus attentivement, je me dis que ce chien est malade, ou bizarrement craintif. Tout à coup des oreilles dressées très haut me mettent dans la confidence : c'est un lièvre, un gros lièvre. Je ne bouge plus, et lui non plus. Il m'a vu, et me regarde, c'est évident. Nous nous regardons, donc. Cet échange de vues a quelque chose à la fois de comique, mais aussi de profondément touchant.




Je me souviens alors que le chasseur tôt ou tard finira par rentrer. Il serait dommage que cette bête sauvage fasse les frais de son tempérament. Alors je frappe au carreau, et la bestiole ne demande pas son reste. Je ne soufflerai mot de l'apparition pour ne pas susciter une poursuite nocturne. Sans regret à l'endroit du chasseur : il ne rentre pas bredouille. Et moi non plus d'ailleurs.



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Commentaires

  1. Belle rencontre !
    Une chance que votre batterie fut à plat, cela nous vaut une succession de savoureux croquis, meilleurs à déguster qu'un civet :-)

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  2. Le portrait du lapin est saisi à point. La photo aurait été plus plate. Les chasseurs ont un pb de compensation quand ils tirent un coup.

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    1. à sa décharge, celui-ci ne conduit prend plus le volant ;)

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