On sera bien





Pour une voiture de luxe, c'est à dire à notre époque à peu près toutes les voitures neuves qui arrivent au Havre par cargos entiers — c'est tout juste s'ils ne font pas la queue à l'entrée du port — le panneau 130 n'est qu'un signal à destination de la machine. Les capteurs lisent, le processeur électronique calcule et ordonne, la mécanique obéit. Le banc de brouillard lui-même est envisagé, avant d'y pénétrer la voiture descend d'elle-même à 110 km/h. Pendant ce temps-là, dans un fauteuil chauffé et massant tu n'as plus qu'à regarder distraitement le paysage, l'ordinateur de bord diffuse de lui-même la musique qui convient à tes goûts habituels, ou la chaîne d'infos préréglée en fonction de ton profil. Sur l'écran tu lis tes mails, tu consultes tes messages, les fils de tes réseaux se déroulent en temps réel. Tu peux même téléphoner d'un seul geste, et il n'y aura sans doute pas d'arrêt aux pompes puisque le moteur hybride ne réclame qu'un seul plein pour traverser la France. Nul bruit ne parasite l'habitacle, juste un feulement doux et le bercement du macadam. À peine touches-tu le volant de temps à autre pour dépasser un lambin lambda.
Quelle que soit la raison de ton déplacement, tu descends de l'auto dans le même état que celui du départ : frais, reposé, le même pli sous le pantalon, et la chemise qui a gardé l'odeur plus ou moins neutre du Calgon ou de l'adoucissant.


En revanche, lorsque je monte dans ma vieille voiture le processus est tout autre, et le panneau 130 est un but, un objectif à atteindre, presque une utopie. En hiver, l'obligation de porter des gants et une écharpe annule toute velléité de régler quoi que ce soit, sinon le levier de vitesse, en vérifiant celle-ci à tout instant sur le compteur. La radio est pratiquement inaudible, un crachotement énorme qui concurrence à grand peine les bruits aériens et celui du moteur. Une grande partie de mon énergie est sollicitée par ce qui arrive dans le rétroviseur et me dépasse, en faisant l'auto s'embarquer dans un grand appel d'air, avec empiétement sur la voie d'arrêt d'urgence et le ronflement résultant du contact des pneus avec la bande rugueuse. Je dois m'arrêter fréquemment pour remplir le réservoir et vérifier la qualité de l’arrimage dans le coffre et sur le toit. Passer un coup de fil pour prévenir d'un léger retard, mais rien de grave, j'arrive bientôt. Je prends juste un café, et j'arrive.

Heureusement, quand je descends tu es là et le O étonné dessiné par plaisir sur ta bouche est un régal en soi, il annihile toute la fatigue accumulée. Après un long baiser tu commences à me démonter pièce par pièce, méticuleusement, en commençant par les bras et par les jambes. Une partie peut aller à la machine, l'autre devra être rincée à grande eau. Ici la brosse, là l'éponge, par là le jet d'eau. Il te faut graisser ensuite les articulations, sécher les pièces, les étendre sur des draps de bain, passer un coup de sèche-cheveux et tout remonter dans le bon ordre en s'assurant qu'il n'y ait pas d’interversion. Cependant je ne cesse de te parler, même si les mots s'articulent dans le désordre. Quand tout est fini j'ai la tête qui tourne, tu dis c'est normal, on va prendre son temps, ce n'est que le début, tu vas te reposer, on ira demain matin. Tu vas voir, il y a encore beaucoup de travail, mais on sera bien.




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Commentaires

  1. Mais avec les véhicules du futur (demain), plus besoin même de volant puisque tout sera piloté par informatique. Le mieux serait quand même qu'elles soient attachées toutes ensemble (comme un train avec ses "voitures" bien nommées avant la lettre), puisque sur une autoroute on prend, à part quelques sorties qui seront barrées, la même direction.

    Après, passer au garage pour un lavage complet, bonne idée !

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    1. Oui, l'âge survient comme un accident de la circulation, mais en général on continue à rouler :)

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    2. On pourrait prendre ce rond de pierres,sur la photo, pour du land art.Mais non, certains chasseurs passent un temps infini à sa construction afin de s'en servir ensuite d'affût de chasse pour tuer les oiseaux de mer. Je suis land artiste mais je n'aime pas ces constructions là, ni les chasseurs. Ainsi, il m'est arrivé de rendre la liberté à ces pierres et de détruire ces lieux de mort, au lieu de pratiquer le land art.

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