Plus encore
En balade, le mode de transport influe sur la conversation. Il arrive même qu’il la provoque, l’alimente ou la contraigne.
Dans la voiture c’est comme à la terrasse d’un café, le regard porte au loin et le paysage défile à la manière des passants sur le trottoir. La sphère privée que définit l’habitacle, rendue plus intime encore par la brume des cigarettes, favorise un échange souvent banal entrecoupé de longs silences, apanage des confidents. Au besoin, un éventuel approfondissement serait de toute façon facilité par la présence de la banquette arrière, identique à celles qu'on trouve sur les côtés des bars.
C’est ainsi que les souvenirs s’emboîtent sur la route de Dinard.
L’été, on allait de préférence à vélo, la position haute contribuant à une vision panoramique, et la relative lenteur au plaisir de la durée. On se parlait peu mais nettement, plus attentifs au paysage, au revêtement de la route. L’éloignement des corps était compensé par la concurrence des efforts qui s’apparentait toujours à un défi, presque un duel à distance. Nos paroles étaient directes, informatives, semblables à celles des matelots à la manœuvre. Parfois nous nous parlions plus haut et en anglais au milieu des touristes sur le boulevard Féart, comme les personnages d'un film de Rohmer. Par jeu nous nous lancions des indications précises sur la direction à prendre, à l’instar des marins d'outre-Manche dont la performance linguistique n’avait pas échappé à Claude Duneton.
À moto c’était encore tout autre chose. On parlait avec nos corps. L’attachement consécutif à la nécessité de répartir notre poids en une seule masse. Se tenir à l’autre, le sentir agrippé, hurler parfois un mot doux à travers le casque, sentir le vent de mer soulever la machine par l'intérieur dans le grand virage à droite avant le pont sur le Frémur, avoir l’impression de décoller, un léger guidonnage et c’est reparti vers Lancieux, attention aux flics ou plutôt aux gendarmes planqués devant l’église, non avec leur 4L ils ne pourraient pas nous rattraper, mais on n’est pas pressé. Si ? Le moteur de 125 cm3 est au taquet. Allez, plus vite encore.
Et le car, et le train ? Ah, les transports en commun. Depuis les vitres ouvertes de la micheline qui faisait la navette avec Dol-de-Bretagne pour récupérer la ligne de Rennes, on plongeait dans des jardins mitoyens à la voie ferrée ; à raison de deux aller-retour quotidiens sur la voie unique, il n’y avait pas de raison qu’ils soient clos, on voyait donc des choux pousser jusqu'à la naissance du ballast. Il était intéressant d’étudier, à mesure de l’éloignement de la ville, l’aménagement plus ou moins sophistiqué des jardins qui trahissait sans grande marge d’erreur — pensait-on — l’origine sociale de leurs propriétaires. On imaginait alors leurs habitudes de vie, leurs opinions politiques, leurs goûts culinaires, leurs lectures, leurs chambres à coucher et bien plus encore.
Lorsque je suis retourné sur ta tombe, maudite sale bête, je me suis débrouillé pour être seul — autant que possible, tant il est vrai que m'accompagnaient d'invisibles et turbulents fantômes, des doubles méconnaissables de moi-même — et je suis venu à pied. À pied c’était bien aussi, le long de la plage du Port-Hue, à la Garde-Guérin et sous le golf de Dinard. À pied on est presque nu, sans rien pour occuper les mains il est difficile de cacher la vérité très longtemps. On aurait dû marcher plus souvent, histoire de se mouiller plus encore.
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Bientôt, des "voitures volantes" dans les rues de Dubaï ?
RépondreSupprimerLes transports en commun (comment disait-on à Moscou en février 1917 ?) évoluent et tes images ont le charme sépia des souvenirs à pédales ou cylindriques.