Entre les orties et la grande consoude






Elle est arrivée, en grand appareil.

Assis les pieds dans l’eau au bord du canal, avec de chaque côté un sac d’orties et un autre de grande consoude fraîchement cueillies dans un but horticole, je me reposais de ce travail minutieux en regardant la cime des peupliers du côté opposé. Derrière eux décollaient les avions-école de l’aéro-club. Ils montaient dans le grand ciel d’ouest avant de bifurquer vers une destination invisible mais proche, puis rentraient se poser dix minutes plus tard dans le même axe après quelques approximations de trajectoire probablement dues à une brise capricieuse, ou à l’inexpérience du pilote. C'était une animation supérieure dans un paysage qui n’en avait pas besoin tant était riche le spectacle, depuis la danse zigzagante des libellules autour des bouquets d’angélique au-dessus des patineuses hydrophobes à la surface de l’eau, jusqu’à la formation triomphale des cumulus congestus, très haut dans le ciel. Du coup cela donnait l’illusion d’être assis en terrasse surélevée au bord de la mer avec plusieurs lignes, plusieurs niveaux d’observation. Il y avait le choix, c’était du grand luxe.

Elle est arrivée précédée d’un fort coup de vent, par réflexe j’ai pu rattraper au vol mon chapeau de paille, parti pour une acrobatie dont seuls les corps légers ont le secret. Et puis il y a eu un tintamarre aigu, un brouhaha polyphonique, quelque chose de cet ordre, la surface du canal s’est mise à rire et des mouettes ont pris peur, chacune quittant précipitamment son oreille sur les bollards de l’écluse. Moi-même je n’en menais pas large.
Elle était là, épanouie et charnelle à la toucher presque, c’était une idée.
Une idée. Dans l’excitation mes doigts de pied se sont mis à frétiller frénétiquement, effarouchant les gardons mais dans l’indifférence des truites arc-en-ciel, habituées à pire asticot. Elle a dit regarde derrière toi, et je l’ai fait mais il n’y avait rien, que le chemin de halage bordé de salicaires et de reines-des-prés, plus loin des papillons blancs en vol stationnaire tremblotant au-dessus de la luzerne, et rien d’autre. Je me suis retourné vers elle pour le lui dire, mais elle avait disparu. Mince alors. Je suis rentré à la maison avec dans chaque main le sac d’orties et celui de grande consoude.






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Commentaires

  1. Quelle idée lumineuse !
    Cela doit être agréable de s'envoler sous la caresse d'une brise, légère comme un chapeau de paille, entre la fraîcheur du canal et la moiteur de l'été...

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  2. J'ignorais l'existence de cette plante (j'en ai peut-être vues sans en connaître le nom)... Mais ne pas la confondre... avec le pâté d'alouette ! Les photos sont calmes.

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    1. Le pâté d'alouette, il paraît que ça se trouve surtout dans les postes de télévision...

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