La rumeur de la ruchette
Le mois dernier, à la veille de partir pour Marseille et alors que je rentrais de faire les courses, j'allais pour mettre la voiture dans le garage au fond du jardin lorsque je me vis entouré de milliers d'abeilles. Sous leurs vrombissements, leurs lazzi, leurs encouragements, peut-être, pour certaines d'entre-elles, je courus avec mes paquets jusqu'à la porte principale de la maison donnant sur la rue, porte que je n'ouvre pratiquement jamais sauf pour aller dire bonjour au facteur, mais au moins cela me permettait d'éviter l'épicentre du maelström, apparemment situé au milieu du jardin.
J'allai ensuite jeter un œil par la porte de la cuisine, et je vis la nuée qui avait décidé de s'accrocher sous une branche basse du vieux prunier. Ce n'était pas une situation confortable pour elles, aussi pensai-je qu'elles ne resteraient pas, qu'elles ne feraient que s'y reposer, en quelque sorte. Si tant est que ces masses laborieuses éprouvassent quelque attrait au repos, ce qui n'était pas certain. Souvent la reine frondeuse se pose au mauvais endroit, aussitôt entourée de sa garde rapprochée puis des nourrices, des ouvrières, etc. Mais des exploratrices futées dénichent un coin plus propice, font remonter l'information par leur voie hiérarchique, et quelques minutes plus tard elles sont toutes parties, à la suite de leur championne.
Ce ne fut pas le cas, en milieu d'après-midi l'essaim était stabilisé comme une grosse barbe rousse sous le coude noueux. Il était possible de s'en approcher à le toucher presque, les individus étaient tout à fait calmes, ventilant de leurs ailes la surface de la colonie afin d'y maintenir, je l'apprendrais par la suite, une température constante de 35 degrés.
C'était ennuyeux, je ne retrouvais pas le numéro du type qui était venu il y a deux ans en pareille circonstance, et le téléphone de la mairie sonnait dans le vide. Peut-être étaient-ils en train de réfléchir à la grande affiche que je verrais plus tard en ville, et qui dénonçait le choix d'une ancienne usine sucrière voisine pour y enterrer les déchets du « Grand Paris Express » (pour qui ? pour quoi faire ? c'est moderne ? on a le droit de jouer ?) Évidemment, les pouvoirs publics n'avaient pas choisi les départements les plus riches de la région pour aller déposer les ordures de leur projet « pharaonique ».
Mais pour revenir à nos abeilles, je me suis souvenu d'une amie dont le mari avait embrassé l'activité d'apiculteur sur le tard ; ils seraient sans doute intéressés par l'aubaine. De mon côté je préférais partir l'esprit libre, sait-on jamais, si au retour je devais trouver une colonie dûment installée, il serait plus compliqué de les déloger pour les déménager en lieu sûr, et je ne me sentais pas préparé à ce type de cohabitation, ou de conflit.
Bref, un coup de fil et deux heures plus tard, deux messieurs du métier étaient là. Il fallut attendre la tombée du jour, le moment où les butineuses rentrent à la maison. Une fois équipés du costume ad-hoc, ils enfumèrent délicatement la population, celle-ci se détacha de sa branche sans protester, c'est à peine si quelques francs-tireurs exprimèrent une contestation maussade, et tout le monde (40 000 individus, d'après les organisateurs) alla rejoindre une ruchette spécialement conçue pour le transport.
Avant qu'ils s'en aillent, il me fut permis de poser l'oreille sur cette ruchette. C'est magnifique, on entend un murmure doux et fluide qui ressemble à celui d'une ville la nuit. Cette rumeur me rappelait quelque chose, un souvenir vague, mais impossible de la raccrocher à quoi que ce soit de précis, il me manquait un croisement.
J'étais paré pour Marseille. Au retour j'écrirais ce récit pour le publier avec un mois de retard, histoire de poser mes nerfs avant de passer à autre chose. C'est à dire, vraisemblablement, revenir vers Marseille.
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une leçon
RépondreSupprimerUne aubaine, on dit que cela porte bonheur...
RépondreSupprimerIl était temps que Thomas Pesquet, avec un hologramme, débarque dans ton jardin pour te tirer d'affaire !
RépondreSupprimerJe comprends que tu aies eu "les abeilles" !
Peut-être que raccrocher la rumeur nécessite un croassement plutôt qu'un croisement. Sait-on jamais...
RépondreSupprimerArD