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Les couleurs imperceptiblement se sont décalées, on dirait que les teintes ont muri.
La nature aussi est sujette au vieillissement, on se regarde en chiens de faïence.
Une des promenades alentour fait passer par la maison natale de Louis Braille, à Coupvray. L'endroit est calme et reposant, on n'ose pas faire de jeu de mots avec le mur aveugle qui donne sur le jardin. Pourtant, des mots il avait dû falloir s'accommoder après que le jeune Louis se fut blessé aux yeux en jouant avec les outils de son père.
Un guide, aveugle lui aussi, fait visiter l'endroit minutieusement. Depuis que je suis ici je n'en ai jamais connu d'autre. À le voir se déplacer partout sans hésitation, manipuler les objets et parler avec chacun tour à tour, on ne serait pas étonné de le voir repartir au volant de sa voiture.
Lorsque de retour en ville je croise un aveugle, toujours le même, il reconnaît mon pas de loin, nous nous saluons ; je repense à Coupvray et j'imagine un lien de reconnaissance tissé par-dessus les rues. Ce lien hypersensible bruisse tout à coup d'un éclat de résistance qui parvient à lutter contre la rumeur grasse provenant de Disney, proche d'une dizaine de kilomètres. Le vent parfois la rabat jusqu'ici : des hurlements et des bruits de machine.
Dans le fond du jardin, une tache rouge. En s'approchant, c'est une complexité de fleurs, de feuilles au bout de leur tige, mais il est possible de la considérer comme une simple tache dans la globalité du jardin. Ce n'est pas de la paresse, le jardin est un ensemble de taches vivantes.
Il a plu ce matin et je pense aux enfants. Ils étaient encore ici naguère, mais il faut bien préparer la rentrée, c'est au tour des parents d'œuvrer dans ce sens.
Les enfants étaient alors attirés par d'autre taches, celles que l'on prend du bout des doigts et qui en laissent aux commissures des lèvres et sur les vêtements. Je revois leurs sourcils circonflexes et leurs doigts circonspects.
Le soir, d'autres taches encore. Il doit y avoir un lien, impuissant contre la férocité du monde.
...
Voir la maison de Braille : le paradoxe est joliment résolu, et c'est vrai qu'elle lui ressemble même si je ne connais pas son visage.
RépondreSupprimerLe passage piétons semble porter des empreintes digitales (pour quelqu'un qui a une bonne vue). Certains carrefours sont équipés de messages vocaux pour les "mal-voyants" (mais quid pour les "mal-entendants" ?) : tout le monde n'a pas un chien-guide sous la main.
L'eau est finalement tentatrice : mais que fait-on également pour les "mal-nageants" ?
Belles photos dans tous les compartiments de jeu...