« Va et Vient » N° 14 : « L'absence imprévue », par Marie-Christine Grimard
Le Va-et-Vient est un échange entre personnes qui écrivent un texte, éventuellement illustré, sur le blog d'une autre.
Ce jeu littéraire paraît tous les premiers vendredis du mois. Le thème choisi pour aujourd'hui est : L'absence imprévue.
J'accueille aujourd'hui avec un bonheur renouvelé Marie-Christine Grimard, qui a bien voulu échanger avec moi en dépit des difficultés. Par conséquent, vous pourrez me lire sur son blog Promenades en ailleurs.
Les autres échanges ont lieu entre Dominique Hasselmann et Amélie Gressier, et entre Jérôme Decoux et Marlen Sauvage.
Le Va-et-Vient numéro 15 paraîtra le vendredi 6 septembre, le thème en sera « Un tas de questions ». Toutes les propositions de concours sous forme d'échange sont les bienvenues. Il suffit de nous prévenir au préalable.
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J’aurais dû refuser ce sujet de thèse.
Moi, l’athée, l’incrédule, la matérialiste, je devais plancher sur les croyances et légendes. A l’annonce de mon sujet, j’avais été la cible de toutes les plaisanteries de mes proches. Seule ma mère était ravie pour moi, elle qui avait toujours essayé de me convaincre du bien-fondé de sa Foi. Elle se désolait qu’une personne aussi imaginative que moi, ne puisse admettre que « certaines choses nous dépassent »…
Voilà trois mois que je parcours les recoins les plus reculés de nos belles provinces, ma moisson a été plus que profuse. Je n’aurais pas cru qu’il y avait autant de légendes attachées à cette terre, certaines remontant à la nuit des temps, d’autres forgées dans l’inconscient collectif au cours des dernières décennies. Je reconnais que parfois, j’ai évité de creuser trop profond dans certaines histoires qui ébranlaient mes certitudes présupposées. Il ne faut pas exagérer dans la crédulité, c’est un travail scientifique. Je vois se dessiner ma conclusion peu à peu : l’imagination humaine n’a pas de limites préférant le merveilleux au matériel, et si l’explication de « certains phénomènes » n’est pas évidente aujourd’hui c’est parce que la science n’a pas encore trouvé la réponse.
Ma mère en relisant ma première mouture avait éclaté de rire en lisant cette affirmation finale.
– Je te reconnais bien là ! Personnellement, je pense que tu n’as pas bien cherché. Tu vas aller te reposer quelques jours chez mon amie Helène. Je pense qu’elle t’aidera à rendre ce travail un peu plus significatif. Je l’appelle !
Il était inutile de refuser, ces deux-là étaient sœurs de cœur et Hélène avait toujours été de bons conseils pour moi. Après tout, quelques jours de repos chez elle me feraient du bien. C’est ainsi que je me retrouvais sur la lande ce jour-là. J’avais demandé au taxi de me laisser sur le chemin des douaniers, quelques minutes de marche le long de l’océan m’éclairciraient les idées. J’avais dépassé la croix celte ; elle était de plus en plus burinée par les embruns, incrustée de coquillages et de champignons. Le granit se teintait de vert de gris sous le soleil breton. Encore quelques minutes et je passerai devant la stèle de Sainte Klerwi.
Quelle ne fut pas ma surprise d’apercevoir Hélène à genoux devant la stèle lorsque j’arrivais à sa hauteur. Elle était en larmes, je la pris dans mes bras sans parvenir à la consoler, elle semblait dans une sorte de transe, me regardant sans me voir. Au bout de quelques minutes, elle reprit ses esprits et me reconnut :
– Ah, ma petite, tu tombes à pic. Le bateau du Père Antoine a disparu en mer cette nuit avec cinq marins à bord, tous du village. C’est un grand malheur, il n’y a plus aucune communication avec eux depuis l’aube. J’étais venue demander à Sainte Klerwi de nous aider dans les recherches avec son œil magique, mais elle a disparu. Quel malheur !
– Les sauveteurs de la SNSM sont à leur recherche ?
– Oui, ils sont partis dès l’aube, mais il y a des creux de cinq mètres. Pour le moment on n’a aucune nouvelle. Et voilà que la Sainte est partie !
– Comment ça partie ? Tu veux dire que quelqu’un a volé la statue ?
– On ne peut voler la statue puisqu’elle est creusée dans le granit, la statue et sa stèle sont sculptées d’un seul tenant, creusées dans le rocher. ? Si un voleur avait découpé la sainte, il y aurait des traces ce qui n’est pas le cas. Elle est partie je te dis ! Viens avec moi on va prévenir les autres.
Il était inutile de discuter avec elle, mon esprit cartésien s’accommodait mal de cette disparition inattendue. Il n’y avait pas de trace de la statue aux alentours, ni de trace de pas dans les genêts qui entouraient la stèle. Je finissais par me laisser gagner par les convictions d’Hélène sans vouloir me l’avouer, lorsque nous arrivâmes sur la place du village où tout le monde s’était rassemblé dans l’attente de nouvelles des naufragés.
– Sainte Klerwi a disparu, déclara Hélène à la cantonade, à ma grande honte.
– Elle est partie les chercher répondit une vielle femme en se signant. Elle les trouvera avec son œil magique.
– Voyons, Soizic, nous sommes au vingt-et-unième siècle, ces histoires moyenâgeuses n’ont plus cours. C’est avec leur balise GPS qu’on les retrouvera, répondit l’instituteur, un sourire méprisant aux lèvres.
– Si leur balise marchait encore, on les aurait déjà retrouvés répondit le Maire d’un ton découragé. La technologie ne fait pas tout face à l’océan, même au vingt-et-unième siècle.
– Si Sainte Klerwi est partie les chercher, il suffit d’attendre, affirma la doyenne du village. Allons sur la falaise, ça ne sera pas long. Aide-moi petite, dit-elle en empoignant mon bras.
Elle marchait beaucoup plus vite que son âge avancé le laissait penser. La plupart des femmes nous suivirent en récitant leur chapelet, alors que les hommes se dirigèrent vers le café du port en ricanant. Je n’osais pas les contrarier mais je ne voyais pas pourquoi il fallait aller se geler sur la falaise battue par les vents. Le brouillard commençait à se lever et le crépuscule n’était pas très loin. Nous approchant du bord, nous vîmes les derniers rayons du soleil disparaître à l’horizon. Bientôt l’océan ne serait plus qu’une immense masse noirâtre. Je frissonnais à l’idée de ces hommes perdus dans la nuit.
– Regardez, criais-je à Hélène, cette lueur sur le toit de la chapelle. On dirait un feu. Il y a le feu au clocher ?
– Non, répondit ma compagne à voix basse. C’est la Sainte, elle a placé une balise au sommet du clocher pour les guider.
– Mais enfin, c’est impossible murmurais-je entre mes dents. Il y a forcément un projecteur là-haut, ça n’a pas pu s’éclairer tout seul.
– Pas tout seul non, répondit Hélène. La chapelle de l’ancien cimetière est à l’abandon depuis longtemps, il n’y a aucun projecteur là-bas, il n’y a même pas l’électricité. Regardez toutes, sur la mer, cette ombre là-bas, il y a un canot !
Cette nuit-là, tout le village se réjouit jusqu’à l’aube du retour des marins. Tous étaient saufs, mais il s’en était fallu de peu. Ils avaient essuyé une avarie, leur moteur étant noyé par une vague scélérate, ils n’avaient eu que le temps de mettre le canot à la mer avant que leur bateau ne coule. Perdus aux milieux des vagues monstrueuses ils ne savent pas comment ils ont retrouvé la côte, leurs instruments de bord ayant disparu avec le navire. Lorsqu’ils aperçurent une lueur au loin, ils reprirent espoir et se dirigèrent vers elle. Une nuit sans lune en plus, ils auraient pu dériver pendant des jours sans s’approcher d’une côte. Ils avaient beau être des marins aguerris, ils tremblaient de tous leurs membres en racontant leur aventure. Même le Chouchen du père Joseph n’arrivait pas à les réchauffer.
En rentrant, aux premières lueurs de l’aube je demandais à Hélène si elle croyait vraiment que la Sainte les avait sauvés.
– Tu veux en avoir le cœur net, dit-elle, alors suis moi. Elle prit le chemin des douaniers. Je la suivis en souriant, on aurait dit ma mère avec son air convaincu. Je hochais la tête. Au loin, l’océan avait retrouvé sa sérénité. Sa beauté me coupait le souffle, à moins que ça ne soit la brise du large. Hélène m’avait précédé à la stèle. Elle me regardait m’approcher en souriant.
– Regarde dit-elle, un doigt pointé vers le rocher de granit. Qu’en dis-tu ?
Bien à l’abri au fond de la stèle, la Sainte me fixait de ses yeux de granit. Je m’approchais, empoignant la statue pour essayer de la décoller de son support, mais elle était immuable bien installée dans la niche. Je crus la voir sourire et me reculais brusquement en tremblant.
– Eh oui, conclue Hélène, parfois la science ne peut tout expliquer. Allons, dit-elle en me prenant pas les épaules, rentrons tu as besoin d’un bon café.
Nous reprîmes le sentier des douaniers, je n’osais pas me retourner mais je suis prête à jurer que j’ai entendu un rire cristallin sortir de cette stèle en m’éloignant.
– Voilà qui fera un bon sujet de thèse, il me semble, se moqua Hélène devant mon air déconfit. Ces beaux messieurs de l’Académie des Lettres Classiques vont en avaler leur bicorne !
Texte et photos : Marie-Christine Grimard
Les belles photos qui illustrent le texte n'ont heureusement pas disparu en mer ! La Sainte, au vu de la thèse, devait s'appeler Thérèse ! :-)
RépondreSupprimerThérèse est plutôt du côté de Lisieux, sainte Klerwi est bretonne et à vraiment un œil magique, vous allez réveiller la vieille guerre Bretagne-Normandie !
Supprimermais quelle histoire Marie-Christine ! de quoi mettre à mal les certitudes rationnelles
RépondreSupprimerLes miennes aussi !
SupprimerMerci Chris pour cette fable belle comme l'antique (entre autres, entre autres....) :-)
RépondreSupprimerC'est toujours un plaisir d'échanger avec vous.
Merci à vous en retour Dominique, c’est un plaisir réciproque 😉
SupprimerAh ! comme j'aime te lire, Chris ! On aurait envie d'un recueil de ces fables-là !
RépondreSupprimerAnonymous = Marlen !
SupprimerMerci beaucoup Marlen de cet enthousiasme amical toujours renouvelé 😉
SupprimerUn beau conte que Claude Seignolle n'aurait pas renié !
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour cette référence 🙏
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