Le soin des choses

 

Un matin, la voiture n'a pas démarré.

Le garagiste, un brave type, a dit, bah, bon. Monte dans la dépanneuse, au garage je vais t'en prêter une (décidément). les papiers sont dans la boîte à gants (d'accord, merci).

Un peu plus tard, en revenant du supermarché, le chemin qui conduit à la maison était bloqué par la nacelle des intervenants sur la fibre, et les poteaux qui la portent. La bonne décision était de faire demi-tour, et puis rouler, faire défiler des images dans le jour en clair-obscur sous de longs filets de brume, le temps qu'ils aient terminé le boulot tranquillement.

Après un arrêt pour boire un café dans le bar-tabac du bien nommé bourg de Montsurvent, le long de la départementale, la main a cherché machinalement un paquet de kleenex dans la boîte à gants. Au lieu de quoi était là, sous la pochette plastique des papiers de la voiture, un objet reconnaissable entre mille autres tâtonnements.

C'était un téléphone portable, oublié certainement, jamais réclamé depuis des lustres. Un Nokia léger comme une madeleine, décati comme un coquillage à la dérive sur la grève. La façon dont sa rondeur douce et ample épousait la paume réveillait instantanément des confidences, des silences, des soupirs. On l'entrouvrait, souvenez-vous, comme une boîte à secrets, avec souvent un coup au cœur.

Je suis monté haut dans la presqu'île, jusqu'à la plage de Carteret, à l'esprit quelques idées inexprimables et, d'ailleurs, peu compréhensibles. La vue était magnifique, panoramiquant l'absence totale de souvenirs dans ce coin du monde, autrement dit aucun regret, aucune satisfaction rétrospective, pas d'affect, rien que le vierge avenir.

Le vent sifflait dans les haubans de l'immense antenne radio de la SNSM. J'ai pensé à ceux qui prennent soin des choses, et, dans ce prolongement, à ceux qui prennent soin du vivant.

Plage de Carteret, juillet 2024