Au-dessus de la ville et hors saison
Dimanche dernier, on a fait rouler la voiture. Son moteur diesel hors d'âge pue énormément, l'assemblage brinquebalant ressemblant de plus en plus à une barque de pêche, dixit le copain sur la banquette arrière. Le clin d'oeil du sort est plaisant, au fond.
Depuis Granville on descend vers Jullouville, puis Édenville (l'ouest du département goûte fort ce suffixe), et là, un parking à moitié ensablé clot le suspense. En cette saison l'endroit est comme abandonné, presque sauvage. Bohème, je ne sais pas, en tout cas il n'est pas sans rappeler des lieux où poussent les cabanes, comme au bord des étangs près de Montpellier (ou, plus près d'ici, comme presque toute l'étendue de la côte depuis le nord de Granville jusqu'à la centrale nucléaire de Flamanville, après quoi rien que du sauvage - clin d'oeil aux amis bretons, entre autres, qui ont bien connu les centres de vacances acquis par ici dans les années trente par les mairies communistes de la petite couronne, et dont la plupart, désormais, ont été livrés au marché). Le contraste est saisissant avec la rigueur proprette de Jullouville, où la municipalité ne rigole pas avec le laisser-aller et perpétue imperturbablement l'esthétique urbaine des années soixante, comme dans un film d'époque.
En tout cas, tous, on aime bien cette atmosphère de délaissement au pied du rocher. Il fait un froid de canard, on emprunte l'escalier tantôt taillé ou emboîté dans le roc de la falaise avec ses marches inégales de 40 cm de haut. Mes parents ont vécu plusieurs années à Granville avant ma naissance, aussi n'ai-je de souvenirs du pays que par les récits qu'ils nous en firent plus tard. Je n'ai pas gardé en mémoire la relation d'une vie très heureuse, cela me semblait en mi-teinte, mais je dois me tromper, mal interpréter. L'immédiat après-guerre était fait de privations, même si les photographies conservées de l'époque semblent démentir cette impression avec leurs images de rencontres, de fêtes, l'été, d'escapades en tous lieux alentour, en particulier la promenade que nous nous apprêtons à faire, vers Carolle. En quelque manière, je les accompagne, ou plutôt j'accompagne leurs mots et leurs images.
À l'arrivée en haut des marches on suit le GR le long de la falaise (le « sentier des douaniers » des guides touristiques), et bientôt une brume de mer vient napper le paysage, voilant un soleil déjà timide. Lorsque le sentier s'infléchit vers le Port du Lude, embouchure d'une rivière devenue torrentielle après les dernières pluies, la situation est d'une beauté sidérante. Mes doigts engourdis par le froid ont du mal à prendre des photos avec le smartphone retenu par sa dragonne. Ils se baladent parfois devant l'objectif (au retour, cela simplifiera le tri des trop nombreuses photos). J'essaie tant bien que mal de cadrer ce qui, par définition, ne peut que déborder hors champ. La légende raconte que c'est l'archange Michel qui entailla la falaise d'un grand coup d'épée en combattant Satan (Roland reproduira l'effet sur sa brêche, avec emphase). Quand les dieux régnaient sur la Terre...
Une amie nous fait la remarque que la vue lui rappelle l'Irlande. Les photos et les films que j'ai vus de ce pays confirment l'impression. Je repense surtout au Val sans Retour de la forêt de Paimpont, près de Rennes, la fureur de Morgane et le prévisible Lancelot. Ou encore aux monts d'Arrée. Après tout, géographiquement on est toujours sur le massif armoricain.
Une amie nous fait la remarque que la vue lui rappelle l'Irlande. Les photos et les films que j'ai vus de ce pays confirment l'impression. Je repense surtout au Val sans Retour de la forêt de Paimpont, près de Rennes, la fureur de Morgane et le prévisible Lancelot. Ou encore aux monts d'Arrée. Après tout, géographiquement on est toujours sur le massif armoricain.
Il est un peu tard pour descendre vers la mer. Le sentier est imparfait et la luminosité diminue. Il vaut mieux rentrer.
Un parfum inconnu se répand dans l'atmosphère. Ce n'est ni une odeur de terre ni une odeur de mer. Floral, pourtant, mais une fleur qui se serait évaporée dans un air tiède. C'est ça : une odeur anachronique.
Un diverticule permet d'éviter les escaliers. Pour autant, le soleil joue encore des tours à travers la brume sur la plage de Jullouville. Ce n'est pourtant pas la fatigue qui se joue de la focale, vue aérienne qui approche et puis recule, comme une mise au point hasardeuse sur des souvenirs incertains. Restent quelques maisons à l'état d'abandon ou semblant l'être, dans le désordre du hors-saison. Tout est réparable. On en reparlera l'été prochain.
MERCI !
RépondreSupprimerAvec joie ! :-)
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