Va-et-Vient N° 12 du 5 avril 2024 : « Complicités », par Dominique Hasselmann
Au mois d'avril de l'année dernière je retrouvai Dominique Hasselmann, l'instigateur de l'exercice du Va-et-Vient, pour un nouvel opus sur le thème Complicités. Dominique est, entre autres, l'auteur du blog Métronomiques, dont on souhaite la reprise un de ces jours. Peut-être faut-il actionner le remontoir ?
Complicités
Tout simplement, le rendez-vous avait été fixé place Vendôme à Paris. C’était un lieu tranquille, la Justice y régnait à l’ombre de la colonne abattue le 16 mai 1871, après qu’un peintre franc-comtois émit l’idée de la déboulonner, et l’on pouvait respirer là une sorte de souvenir révolutionnaire.
Jean-Marc Legeindre présentait bien, toujours tiré à quatre ou cinq épingles. Ses costumes étaient chic et sans prétention, il adorait le lin et sa souplesse, comme des habits qui vous collent à la peau mais sans laisser de traces. Son nez aquilin semblait humer l’odeur des jours, sans jamais s’en offusquer : sa philosophie était d’accepter ce qui advenait et d’en garder toujours l’aspect positif.
Pierre Butril, lui, ressemblait à une sorte de bouledogue d’apparence douce, les crocs en moins, mais il fallait se méfier de la vivacité de son esprit, du cinglant de ses réparties et de la volonté d’acier qu’il mettait toujours en œuvre. Ses yeux gris, derrière les hublots de ses lunettes d’écaille, panoramiquaient sans cesse de gauche à droite comme s’il regardait à travers le périscope optronique d’un sous-marin (classe Barracuda).
Ils s’étaient reconnus de loin et se dirigeaient vers le bar du Ritz qui ouvrait à dix-sept heures trente. Ce serait l’occasion de se mettre dans l’ambiance : luxe, calme et complicités. Le décor, haut de gamme, était à la hauteur de l’entreprise visée. Ils entrèrent dans le salon tout à fait cosy.
— Dis-donc, tu m’as fait attendre ! s’exclama Jean-Marc Legeindre.
— Oui, excuse-moi, j’avais perdu mon portable… répondit Pierre Butril.
— Alors, tu as bien repéré les lieux ?
— À demain matin, onze heures précises ?
— Affirmatif !
Les deux hommes finirent d’avaler leurs cocktails très chers. Puis ils se séparèrent.
Jeudi, à l’heure dite, ils se retrouvaient devant la vitrine du joaillier. Celui qui portait des lunettes les avait troquées contre des lentilles de contact, celui qui n’en portait pas arborait une paire de Ray Ban comme dans un film policier américain. Ils s’étaient teint les cheveux, l’un en noir corbeau, l’autre en auburn soutenu.
— On y va ?
— Oui, c’est parti !
Avec leur dégaine de riches touristes, ils pénétrèrent dans le magasin après être passés dans le sas de sécurité et avoir souri aux caméras de vidéosurveillance.
— Bonjour Messieurs, en quoi puis-je vous être utile ?
— Eh bien, c’est simple, nous désirons une montre chacun, donc pourriez-vous nous en… montrer quelques-unes ?
— Avec plaisir, suivez-moi, dit la vendeuse habillée d’un corsage noir et d’une jupe assez courte de la même couleur.
Ils se dirigèrent vers un présentoir sous la vitre épaisse duquel des montres s’étalaient comme des sortes de petits poulpes marins.
Lorsque la vendeuse en prit deux dans ses mains, Jean-Marc Legeindre sortit son Smith & Wesson de la poche intérieure de sa veste, tandis que Pierre Butril lui mettait le canon de son Beretta sur la bouche :
— Vous la bouclez, vous mettez toutes les montres dans ce sac, et personne ne bouge, dit Jean-Marc Legeindre, en menaçant un autre vendeur qui venait de surgir.
— Et vous ouvrez la porte sinon votre vendeuse prend une balle dans la tête !, ajouta son compagnon.
La vendeuse s’exécuta. Le sac fut promptement rempli, la porte de la bijouterie franchie, la moto, garée sur le trottoir (une BMW 1200 cm3) les attendait, ils l’enfourchèrent, partirent en tornade, c’est Jean-Marc Legeindre qui conduisait le bolide dont les plaques d’immatriculation étaient fausses.
Une heure plus tard, les deux amis se retrouvaient dans la villa de Montmorency que l’un d’eux possédait. Le butin était magnifique : les aiguilles jouaient des gambettes, les trotteuses trottaient (aucune montre « digitale » impersonnelle), les chiffres valsaient, les bracelets étincelaient…
— On pourra maintenant changer de montre au moins une fois par semaine ! dit Jean-Marc Legeindre.
— Oui, répondit Pierre Butril, mais plus jamais d’excuse de ma part pour le moindre retard à un rendez-vous !
Texte et dessin : Dominique Hasselmann
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